Se coucher ?
Depuis plusieurs semaines je déverse mes humeurs amusées ou
colériques sur la sphère politique : l’actualité oblige. Le temps des
élections se resserre, les échéances n’ont jamais été aussi proches. Je sais
qu’il faut argumenter, convaincre et gagner chaque voix.
Je sais aussi que les choix politiques que nous ferons et
les conséquences concrètes de ces choix en termes de progrès sociaux, par exemple, ne sont pas
indépendants des batailles syndicales
que nous avons menées, que nous menons, que nous mènerons. J’utilise à
dessein le mot « indépendant » parce que je suis convaincu que derrière ce mot se pose une question clef, la question du rapport du
syndical et du politique, question centrale pour tous ceux qui ambitionnent de
changer la société, de lutter contre les injustices, contre l’exploitation,
contre l’aliénation des femmes et des hommes.
Le syndical et le
politique.
J’ai souvent vu les ardeurs syndicales les plus farouches se
heurter aux murs du politique ; j’ai souvent vu les politiques tout tenter
pour se soumettre les faveurs du syndical. J’ai trop souvent vu les divisions
du politique gangréner le syndical et affaiblir la volonté unitaire du monde du
travail. Je crois donc utile d’aborder le problème de front pour y voir peut-être
un peu plus clair et les péripéties qui ont entouré la journée d’action syndicale européenne du 29 février m’en
donnent l’occasion.
Devant une dégradation très grave de la situation sociale
dans toute l’Europe, aussi bien en termes de chômage, de pouvoir d’achat, de
précarité, d’inégalités, face à des politiques d’austérité qui se mettent en
place et qui ne visent qu’à étrangler un peu plus les peuples, la Confédération
Européenne des Syndicats qui regroupe pratiquement tous les syndicats des pays
européens a voulu donner un signe fort et unitaire pour dire qu’il faut en
finir avec des politiques qui ne font
qu’enfoncer un peu plus les pays dans la crise et qui appauvrissent un peu plus ceux qui sont déjà pauvres.
L’appel à manifester, à agir le 29 se situait dans ce cadre : une action
judicieuse, appropriée, nécessaire. Elle répond à une attente, maintes fois
exprimée des peuples, qui demandent une véritable Europe sociale.
D’importantes manifestations ont eu lieu : à Perpignan,
plusieurs centaines de personnes, à Barcelone, plus de 50 000 dont des
représentants des syndicats du département pour y marquer la dimension
internationale.
Péché ?
Il s’est trouvé, ici, des organisations syndicales, pour
dire et écrire, au nom du contexte politique électoral dans lequel nous nous
trouvons, que descendre dans la rue, manifester, faire grève dans un tel
contexte ne relevait pas d’une action syndicale indépendante, mais aurait un
sens politique et que c’était … péché !
Questions : les politiques d’austérité ont-elles
disparu ? Les syndicats ont-ils une obligation de réserve ? Pendant
combien de temps faut-il, avant et après les élections, geler l’action
syndicale ? Qu’est-ce que gagnent les syndicats à ce petit jeu ?
Gommer les revendications syndicales pendant toute la période électorale
n’est-il pas un geste éminemment politique ? En les faisant passer sous la
table, ne fût-ce que quelques semaines,
n’est-ce pas réduire leur force et leur nécessité ? Ne peut-on pas voir dans cet attentisme une
manœuvre qui viserait à préparer les esprits et les corps aux sacrifices imposés par les politiques d’austérité
envisagées, pas seulement à droite? Ne désarme-t-on pas le peuple en agissant
ainsi ?
C’est vraiment là une conception « désarmante » de
l’action syndicale. Pour ne faire référence qu’au passé le plus récent, sur les
retraites, sur les services publics, sur l’école, sur le chômage, sur la
désindustrialisation les organisations
syndicales sont porteuses de revendications : faut-il les oublier un peu,
beaucoup, passionnément pour permettre à Pierre, Paul ou Jacques de décrocher la
timbale ? Dans le même temps observons que patronat et gouvernement, eux, n’oublient rien et accélèrent projets rétrogrades et plans
sociaux.
Pendant que les salariés dociles se coucheraient devant les
urnes, aux pieds de leurs maîtres !
Ce sont-là des visions mutilées du syndicalisme (comme de la politique) qui l’éloignent de son projet fondateur, la fin de
l’exploitation et l’émancipation du travailleur.
Et parmi les tâches à accomplir, n’oublions jamais une des
conditions des succès futurs le développement,
le renforcement d’un syndicalisme de lutte, de masse, de contestation et
de proposition, d’un syndicalisme unitaire et démocratique.
A nous d’en être les acteurs sans attendre!
Comme nous serons les acteurs de tous les changements
politiques, sociaux et économiques auxquels nous aspirons.
Pour nous sortir… du
pétrin, il vaut mieux être debout que couché !.
Jean-Marie Philibert