les billets d'humeur de Jean Marie Philibert dans le Travailleur Catalan

Jean Marie PHILIBERT ( c'est moi ) écrit toutes les semaines un billet d'humeur dans le TRAVAILLEUR CATALAN, hebdomadaire de la fédération catalane du PCF.
Je ne peux que vous conseiller de vous abonner à ce journal qui est aujourd'hui le seul organe de presse de gauche du département des Pyrénées Orientales.
J'ai rassemblé dans ce blog quelques uns de ces billets d'humeur en rappelant brièvement les événements qu'ils évoquent

lundi 23 février 2015

l'homme qui ment



« Le mentir-vrai »*
Marc Lavoine, vous connaissez sans doute ? Dans notre univers médiatique, il vient régulièrement nous visiter et nous charmer de sa douceur, de sa voix, de son regard. Les femmes y sont rarement insensibles et les hommes se disent que leur pouvoir de séduction est sans doute un cran légèrement inférieur à celui de ce quinquagénaire (il est né en 1962). Son jeu d’acteur, ses textes de chansons sont pleins d’humanité. Rappelez-vous « Elle a les yeux révolver… elle a le regard qui tue.. » Il est très loin de  la mièvrerie du genre. Au cinéma, les trois volumes du film « Le cœur des hommes », les films de Marc Esposito laissent de lui l’image d’un mari exubérant et volage, mais, ô combien ! sympathique, comme le portrait de son père qui est au cœur du livre qu’il vient de publier et qui fait actuellement un tabac « L’homme qui ment ». Une lecture que je vous conseille : un grand moment de plaisir, d’émotion et même un texte qui peut politiquement nous interpeller. Je ne vais pas jouer au critique littéraire, mais je vais tenter de vous montrer tout l’intérêt que l’on peut y trouver.
« Le dosage, c’est un tiers CGT, un tiers PTT et ton tout communiste »
L’homme qui ment, c’est Lulu Lavoine, postier, cégétiste et communiste, qui hante Wissous, c’est la banlieue parisienne, autour d’Orly : une banlieue attachante, avec la richesse de ses relations humaines, la force de ses espoirs, la conviction que le monde est à transformer et qu’il ne faut pas s’économiser, un monde certes machiste où l’image du père règne en majesté, mais sous le regard lucide d’un fils aimé et aimant.
Le livre débute à l’enterrement du père, puis par un long flashback, Marc Lavoine nous raconte sa naissance, la déception de sa mère, Micheline, qui voulait une fille, son enfance, sa jeunesse et la très profonde tendresse pour tous les êtres qui l’ont entouré, un monde de gagne-petit, mais où le bonheur de vivre ensemble ne pouvait que générer une joie communicative, un besoin de ne laisser échapper aucun des moments de plaisirs que la vie distribue généreusement. Dans la gaieté, bien sûr ! Dans le rire. Dans la solidarité.
Ensemble.
Dans ce  monde on n’avait pas besoin d’évoquer l’impérieuse nécessité du « vivre ensemble » pour le rendre un peu vivable (comme on le fait aujourd’hui), un monde où tout simplement on vivait ensemble, on luttait ensemble, on travaillait ensemble, on couchait (un peu) ensemble, c’était une spécialité de Lulu. Son engagement au parti communiste semble le ciment de la cohérence de ce monde et  il sert de fil conducteur à l’ensemble du livre qui est empreint d’une profonde nostalgie.
Contrairement aux mœurs ambiantes actuelles où il est de bon ton de dénigrer, d’ironiser sur ce qu’a pu être cette ambition collective pour le monde du travail de donner du sens, de vivre, tout simplement et tout largement, de dresser des perspectives, d’incarner des espoirs, Marc Lavoine se reconnaît dans cette démarche, en voit la force et la richesse, comme les ambiguïtés, comme les déceptions qu’elle a générées. Il ne s’agit pas d’évoquer un passé idyllique, facile et sans aspérité,  Lulu a frôlé la mort en Algérie, la famille connaîtra les fins de mois difficiles, les maladies, les dépressions de la mère, les fugues du père, les révoltes des maîtresses, les séparations, les reniements, les interrogations de Marc, sa sollicitude pour une mère qui souffre. Lulu finira même quelque peu écolo. Mais la couronne du parti communiste l’accompagnera à sa dernière demeure. Et Marc Lavoine de commenter : « Et puis cette couronne du PCF à Lulu, comme le vestige d’un combat perdu… »
Perdu
Perdu ? Parmi les questions que soulève pour moi un tel livre, il en est une qui me taraude et qui je pense explique le succès du livre en librairie : s’agit-il d’un monde enfoui ? Les espoirs de cette génération participent-ils de survivances qui ne survivent plus, qui ne survivront plus ? Sommes-nous condamnés à la nostalgie et à la déliquescence du monde qui nous entoure ? La perspective d’un monde solidaire a-t-elle disparu corps et biens ?
L’évocation de ces destins à la fois singuliers et banals qui dans un monde compliqué et inégalitaire est un signe de notre capacité à relever des défis, chacun avec ses ambitions, son caractère. Chacun avec sa générosité. Dans la famille Lavoine on n’en manque pas. Il ne tient qu’à nous de nous en nourrir. L’homme qui ment nous dit aussi quelques vérités.
Jean-Marie Philibert.
*rendons à Aragon ce qui est à Aragon.

mercredi 11 février 2015

Pour la dignité du monde du travail.



Pour la dignité du monde du travail.
Parmi les visages qui ont marqué l’actualité de ces derniers jours, il y en a un dont on peut dire qu’il l’a fait à double titre : tout d’abord parce qu’il est celui de Philippe Martinez, le nouveau secrétaire général de la CGT et ensuite parce que je lui trouve, je ne suis pas le seul,  une ressemblance étrange avec  le personnage du Beauf de Cabu qui meublait les pages de Charlie et du Canard Enchaîné et dont on a le sentiment qu’il a voulu et réussi à se faire la tête. Provocation ? Antiphrase ? Grâce à Philippe Marinez il nous reste un peu de Cabu, de son regard acéré, de sa lucidité, de sa dénonciation de la sottise humaine, si largement répandue.
Mais par-delà cette coïncidence, c’est le sens  que prend ce changement à la tête de la CGT qu’il m’intéresse d’interroger parce qu’il ne concerne pas qu’une organisation syndicale, fût-elle la première comme on dit,  mais parce qu’il est en mesure de participer à lever un certain nombre de blocages qui plombent depuis des mois, si ce n’est plus, la démarche syndicale.
L’urgence.
Et il y a urgence, devant le marasme actuel, et il y a urgence devant les projets débridés du gouvernement et de son Macron de service, et il y a urgence devant la montée inexorable du chômage, de la précarité, et il y a urgence devant la perte grave de repères que représente la montée du front national. Il y a urgence pour le syndicalisme.
 J’interprète les manifestations monstres qui ont marqué les événements de janvier comme les signes d’une attente sociale forte pour s’opposer aux formes les plus violentes de la barbarie, et dans le même temps pour retisser, reconstruire du lien social, de la solidarité, pour en appeler à la justice et au progrès. Et cela ne tombera pas d’un ciel, même laïque. Il y faut des organisations pour le(s) prendre en charge et les syndicats sont là pour ça.
Un aggiornamento.
Mais un aggiornamento me semble incontournable pour leur redonner leur pleine vigueur : il concerne les responsables, les syndiqués, les salariés et bien au-delà ceux qui aspirent à l’être (ils sont légion et ont perdu le chemin du syndicalisme), ceux qui l’ont été et qui vivent souvent chichement de leur retraite (le syndicalisme ne les intègre que marginalement).
C’est dire qu’il y a du pain sur la planche pour redonner sa pleine utilité au syndicalisme, d’autant qu’un simple constat impose de dire que les dernières décennies ont vu  de profondes désagrégations du « mouvement ouvrier » qui n’ont pas eu sur le terrain syndical des réponses à la hauteur des enjeux.
Une diversification de plus en plus marquée a  nourri la division. L’enfermement des organisations  sur leurs terrains privilégiés a pu laisser croire possible de préserver, ici où là, des acquis. Empêcher les reculs sociaux et défendre ce que l’on a, son statut, son travail, son service, ses droits, son salaire sont les B.A.BA de toute activité syndicale.
Mais l’utilité du syndicalisme, la nécessaire refondation de son efficacité, de sa combativité, de sa radicalité dans les luttes impose d’aller plus loin, dans sa capacité à être une véritable force de proposition, en mesure de répondre de façon globale et rassemblée au défi d’un désordre dominant qui ne produit que toujours plus d’exploitation, d’aliénation et de désespérance.
Les gros mots
Bien sûr on hésitera à utiliser des gros mots : lutte de classe, répartition équitable des richesses, révolution sociale, mais derrière toute activité sociale, il y a des choses, comme celles-là qui sont en mesure de mettre en transe la Medef et toute la finance internationale. Il ne me semble pas inutile que le syndicalisme se les réapproprie. Avec réalisme, avec le souci d’être suivi par le plus grand nombre, avec l’ambition de redonner au monde du travail la dignité qui est un des fondements de notre humanité.
Restent toutes les questions que ne manqueront pas de poser de telles exigences : comment s’organiser, quelles formes donner à l’unité, à la solidarité, et dans le même temps à l’expression de la pluralité, quelle démocratie sociale inventer, comment faire du syndicalisme un élément central de l’identité professionnelle, comment penser le rapport au politique (qui a souvent été le talon d’Achille du syndicalisme). La liste n’est pas exhaustive. Il serait illusoire de vouloir construire un projet global clé-en-main. L’heure est à la mise en route.
Souhaitons les meilleures chances à Philippe Martinez, à son équipe, aux organisations de la CGT, à tous les syndicalistes, lucides, sincères et désintéressés, de toutes les organisations de ce pays. N’oublions pas non plus que ce combat nous concerne.
Jean-Marie Philibert.

mardi 3 février 2015

laïcité



Un combat permanent

La laïcité ! Une bataille qui semble ringarde et d’un autre âge et qui ressurgit tout aussi régulièrement lors de toutes les crises sociales, politiques, démocratiques que nous avons à affronter. Avec ses vieux routiers, ses néophytes, ses passionnés, ses indifférents, ses adversaires, ses rénovateurs.
La laïcité reste pour moi l’ultime rempart contre ceux qui n’en auront jamais fini de regretter l’ancien régime et ses formes multiples et variées d’obscurantisme, fantasmées comme de grands moments malheureusement perdus.
Revenir aux sources
Avec l’histoire, nous sommes confrontés dans un face à face qui n’en finit jamais entre l’ancien et le nouveau : l’ancien fait toujours de la résistance face au nouveau et le nouveau ne parvient jamais à tordre le cou définitivement à l’ancien. Quand le débat tourne autour de la question aussi large et controversée de la laïcité, le face à face semble s’éterniser et nous avons le sentiment de tourner en rond. Et pourtant je reste convaincu qu’il y a urgence à la prendre à bras-le-corps. Les événements tragiques de ce mois de janvier 2015 en apportent la preuve, si nécessaire. Mon humeur me pousse à revenir aux sources.
Avec la laïcité, nous avons mis en place au cœur de notre système démocratique une valeur (et les pratiques, les lois et les règles, les us et coutumes, les enseignements qui vont avec) qui est l’assise nouvelle sur laquelle repose la république. Une assise totalement indépendante de toutes les religions, et plus particulièrement de la religion catholique  qui, pendant des siècles, avait constitué la référence ultime et absolue de notre organisation politique, sociale, culturelle, morale.
 Cette laïcisation n’a pas été la seule œuvre d’un jour ou d’une année (serait-elle  1905, année du vote de la loi de séparation de l’église et de l’état). Elle a participé de tous les soubresauts de l’histoire, depuis essentiellement le siècle des philosophes des Lumières, en passant par la révolution de 1789, les luttes sociales du 19° siècle, jusqu’au siècle dernier qui a donné une dimension universelle à cette ambition. Sans jamais y parvenir puisqu’elle reste une spécialité en grande partie franco-française.
Remettre le ciel à sa place
Et pourtant l’universalité est son domaine puisqu’elle fait de leurs seules connaissances rationnelles, de leur seule intelligence, le seul outil que les hommes ont pour construire leur destin commun. Librement ! Sans référence aux croyances multiples, de l’ordre de la foi, qui n’ont de cesse de vouloir soumettre la connaissance à un surnaturel, à une transcendance, à un absolu qui sort de la sphère de l’humain, mais qui a souvent la prétention de nous apporter clés en main la réponse aux interrogations qui nous dépassent, ou aux savoirs qui nous manquent.
Toutes les religions ont vu du plus mauvais œil la place prise par la laïcité, faute d’être en capacité de l’abattre : la bataille de tranchées n’a jamais cessé. Avec la religion musulmane, comme avec l’ensemble des religions. Même si avec la religion musulmane la situation est plus récente et plus compliquée à cause de données sociales, culturelles, politiques et historiques qui peuvent rendre plus difficiles  les communications et les échanges possibles.
Laisser travailler les hussard(e)s de la république
L’école, vecteur central de cette valeur qui est la trame de toute activité pédagogique et éducative, est confrontée de plus en plus à ces difficultés (dans le même temps où le service public d’éducation voit ses moyens réduits et ses marges de manœuvre instrumentalisées). Elle se doit de faire face et elle le fait, mais il faut en finir avec les projecteurs braqués sur les incidents mineurs pour lui laisser une large responsabilité, à elle et à ses personnels, dans l’éveil des consciences à une démarche libre et indépendante des groupes de pression de tout acabit qui confondent vérité et révélation.
Les seules révélations qui intéressent la laïcité, ce sont celles que les faits dans une observation raisonnée et méthodique du réel, peuvent nous apporter, très loin de tous les ciels d’ici, de maintenant ou d’avant, ou d’ailleurs. Et quand on ne sait pas, on doute dans le respect total des opinions multiples que toute connaissance en devenir ne peut que susciter. La lumière n’a rien à voir avec les absolus de toute obédience, elle ne dépend que de la lucidité de notre esprit libre et exigeant. A ce moment-là la laïcité a rempli sa fonction. Elle est un combat permanent.
Jean-Marie Philibert.