Pour la dignité du monde du travail.
Parmi les visages qui ont marqué l’actualité de ces derniers
jours, il y en a un dont on peut dire qu’il l’a fait à double titre : tout
d’abord parce qu’il est celui de Philippe Martinez, le nouveau secrétaire
général de la CGT et ensuite parce que je lui trouve, je ne suis pas le
seul, une ressemblance étrange avec le personnage du Beauf de Cabu qui meublait
les pages de Charlie et du Canard Enchaîné et dont on a le sentiment qu’il a
voulu et réussi à se faire la tête. Provocation ? Antiphrase ? Grâce
à Philippe Marinez il nous reste un peu de Cabu, de son regard acéré, de sa
lucidité, de sa dénonciation de la sottise humaine, si largement répandue.
Mais par-delà cette coïncidence, c’est le sens que prend ce changement à la tête de la CGT
qu’il m’intéresse d’interroger parce qu’il ne concerne pas qu’une organisation
syndicale, fût-elle la première comme on dit,
mais parce qu’il est en mesure de participer à lever un certain nombre
de blocages qui plombent depuis des mois, si ce n’est plus, la démarche
syndicale.
L’urgence.
Et il y a urgence, devant le marasme actuel, et il y a
urgence devant les projets débridés du gouvernement et de son Macron de
service, et il y a urgence devant la montée inexorable du chômage, de la
précarité, et il y a urgence devant la perte grave de repères que représente la
montée du front national. Il y a urgence pour le syndicalisme.
J’interprète les
manifestations monstres qui ont marqué les événements de janvier comme les
signes d’une attente sociale forte pour s’opposer aux formes les plus violentes
de la barbarie, et dans le même temps pour retisser, reconstruire du lien
social, de la solidarité, pour en appeler à la justice et au progrès. Et cela
ne tombera pas d’un ciel, même laïque. Il y faut des organisations pour le(s)
prendre en charge et les syndicats sont là pour ça.
Un aggiornamento.
Mais un aggiornamento me semble incontournable pour leur
redonner leur pleine vigueur : il concerne les responsables, les
syndiqués, les salariés et bien au-delà ceux qui aspirent à l’être (ils sont
légion et ont perdu le chemin du syndicalisme), ceux qui l’ont été et qui
vivent souvent chichement de leur retraite (le syndicalisme ne les intègre que
marginalement).
C’est dire qu’il y a du pain sur la planche pour redonner sa
pleine utilité au syndicalisme, d’autant qu’un simple constat impose de dire
que les dernières décennies ont vu de
profondes désagrégations du « mouvement ouvrier » qui n’ont pas eu
sur le terrain syndical des réponses à la hauteur des enjeux.
Une diversification de plus en plus marquée a nourri la division. L’enfermement des
organisations sur leurs terrains
privilégiés a pu laisser croire possible de préserver, ici où là, des acquis.
Empêcher les reculs sociaux et défendre ce que l’on a, son statut, son travail,
son service, ses droits, son salaire sont les B.A.BA de toute activité
syndicale.
Mais l’utilité du syndicalisme, la nécessaire refondation de
son efficacité, de sa combativité, de sa radicalité dans les luttes impose
d’aller plus loin, dans sa capacité à être une véritable force de proposition,
en mesure de répondre de façon globale et rassemblée au défi d’un désordre
dominant qui ne produit que toujours plus d’exploitation, d’aliénation et de
désespérance.
Les gros mots
Bien sûr on hésitera à utiliser des gros mots : lutte de
classe, répartition équitable des richesses, révolution sociale, mais derrière
toute activité sociale, il y a des choses, comme celles-là qui sont en mesure
de mettre en transe la Medef et toute la finance internationale. Il ne me
semble pas inutile que le syndicalisme se les réapproprie. Avec réalisme, avec
le souci d’être suivi par le plus grand nombre, avec l’ambition de redonner au
monde du travail la dignité qui est un des fondements de notre humanité.
Restent toutes les questions que ne manqueront pas de poser
de telles exigences : comment s’organiser, quelles formes donner à
l’unité, à la solidarité, et dans le même temps à l’expression de la pluralité,
quelle démocratie sociale inventer, comment faire du syndicalisme un élément
central de l’identité professionnelle, comment penser le rapport au politique
(qui a souvent été le talon d’Achille du syndicalisme). La liste n’est pas
exhaustive. Il serait illusoire de vouloir construire un projet global
clé-en-main. L’heure est à la mise en route.
Souhaitons les meilleures chances à Philippe Martinez, à son
équipe, aux organisations de la CGT, à tous les syndicalistes, lucides,
sincères et désintéressés, de toutes les organisations de ce pays. N’oublions
pas non plus que ce combat nous concerne.
Jean-Marie Philibert.
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