les billets d'humeur de Jean Marie Philibert dans le Travailleur Catalan

Jean Marie PHILIBERT ( c'est moi ) écrit toutes les semaines un billet d'humeur dans le TRAVAILLEUR CATALAN, hebdomadaire de la fédération catalane du PCF.
Je ne peux que vous conseiller de vous abonner à ce journal qui est aujourd'hui le seul organe de presse de gauche du département des Pyrénées Orientales.
J'ai rassemblé dans ce blog quelques uns de ces billets d'humeur en rappelant brièvement les événements qu'ils évoquent

mercredi 26 juin 2019

Picasso et l'exil


Histoire/peinture/politique

La commémoration du soixante-dixième anniversaire de la retirade a donné lieu à de nombreuses initiatives souvent intéressantes, toujours utiles. Les consciences sont marquées par ce qui s’est passé en Espagne de 36 à 39 : la victoire du Frente Popular, le soulèvement militaire, les fascistes, les franquistes qui s’attaquent à la république, une guerre civile violente, longue, la lâcheté des démocraties européennes, l’engagement de l’Italie fasciste et de l’Allemagne nazie aux côtés des franquistes, l’Union soviétique au secours d’une république qui ne parvient pas à dominer ses divisions, les brigades internationales, les résistances du camp républicain, la défaite, l’exil de plus de 500 000 réfugiés dont le plus grand nombre  passe sur nos terres, y est enfermé à ciel ouvert en plein hiver 39, Argelès, Saint-Cyprien, Rivesaltes…, dans une indifférence souvent coupable, si ce n’est les bonnes âmes militantes de ceux qui ont la solidarité chevillée au corps. On a compris un peu tard que se jouait là comme une répétition générale de ce que le fascisme préparait pour l’Europe dans les mois qui allaient suivre.

Picasso et l’exil

Une initiative du musée des Abattoirs de Toulouse, qui dure jusqu’au 25 août est d’un intérêt majeur pour tous ceux qui se questionnent sur ce qui fut une tragique erreur historique, morale et politique. Elle est intitulée « Picasso et l’exil, une histoire de l’art espagnol en résistance ». Elle est née d’un travail conjoint avec le musée Picasso de Paris, et bien sûr s’appuie sur l’œuvre emblématique que reste Guernica. Ayant eu la chance de la parcourir avec les commentaires d’Anabelle Ténèze, conservatrice des Abattoirs et une des commissaires de l’exposition, je tiens à vous faire partager les enseignements et les émotions dont elle est porteuse et à vous inviter à vous y rendre. C’est une rencontre avec des œuvres majeures de l’avant-garde espagnole, avec les échos qu’elles ont engendrés, c’est une leçon d’histoire, avec tous les documents du quotidien, c’est un rappel politique du plus haut intérêt dans un temps où, en jouant la confusion, certains voudraient nous faire perdre notre gauche et l’impérieuse nécessité de l’engagement.

Un instrument de guerre

Là-dessus, Pablo Picasso est des plus clairs : «  Non, la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements, c’est un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi. » Dans ces temps, les ennemis ce sont les ennemis de la république. Dès le début des événements tragiques, Picasso dit son attachement à la république, lui qui a quitté au début du siècle son Espagne natale pour participer à la grande aventure de l’art moderne dont Paris est le centre, une sorte d’exilé artistique, garde un attachement indéfectible à son pays, la République espagnole fait appel à sa notoriété pour présider aux destinées du musée du Prado. C’est un temps où son engagement reste discret, mais il accepte de servir l’Espagne, comme il accepte une commande du Front Populaire en France en 1936, un rideau de scène pour la présentation d’une pièce de Romain Rolland intitulée « Le 14 Juillet ». Ce rideau de scène est aux Abattoirs, il est intitulé « la dépouille du Minotaure en costume d’Arlequin », on y voit le Minotaure aux mains d’un oiseau de proie, symbole fasciste s’il en est, avec en perspective ceux qui veulent sauver le minotaure. Les commentateurs de l’œuvre de Picasso voient, avec raison, dans ce travail une démarche que l’on retrouve avec Guernica.

Guernica

En 1937 Picasso reçoit la commande du gouvernement espagnol d’un panneau qui doit rendre place dans le Pavillon espagnol, à Paris,  de l’exposition universelle de 37, la commande est de janvier, l’œuvre sera terminé le 7 Juin  Guernica est bombardé le 26 avril. Lui, le peintre de la couleur et de la vie, il fait une œuvre en noir et blanc pour dire la mort, l’horreur du massacre des civils, un jour de fête. Elle deviendra l’emblème de tous les cortèges d’atrocités dont les barbares de notre siècle seront les auteurs. Elle s’inscrira dans la conscience collective comme un cri de révolte devant l’inhumanité. L’œuvre voyagera pour défendre la république, elle voyagera pour en perpétuer le souvenir, Picasso fera le nécessaire pour qu’elle ne revienne en Espagne que lorsque les libertés démocratiques y seront rétablies, il faudra attendre. L’œuvre est fragile, elle ne voyage plus. Vous ne la verrez pas à Toulouse, vous en verrez des duplications avec des proportions similaires.

Et le frigo

Elle est un point d’ancrage de l’engagement du peintre pour participer, soutenir, financer, organiser aussi la lutte des artistes aux côtés des républicains, dans la guerre civile. Des pièces d’archives en montrent le quotidien. La victoire franquiste fera de Pablo, un exilé politique volontaire, fidèle à la mémoire de l’Espagne républicaine, membre du parti communiste. Pour tous ceux qui combattront le franquisme, il restera un acteur de la lutte contre la dictature, refusant tous les rapprochements possibles. Le retour de Guernica à Madrid ne lève pas toutes les interrogations. Comme s’il y avait encore un cadavre dans le placard : ainsi une œuvre contemporaine nous montre derrière la vitre d’un frigo un caudillo congelé, mais observateur d’une évolution qui n’a pas l’air de lui agréer. Tant mieux !

Jean-Marie Philibert.

mardi 25 juin 2019

De l'oxygène


De l’oxygène !

Les temps sont troubles. Et le trouble vient du sommet de l’état, qui veut être à la fois de droite beaucoup et de gauche un peu. On n’a jamais eu un président aussi jeune et des politiques aussi vieilles. Les partis politiques ex-dominants, sont ultra-dominés au point de ne plus savoir où ils couchent. La gauche, celle dont on pourrait penser qu’elle est vraie, ne cesse de conjuguer le verbe « éclatons-nous ! » Le Rassemblement/Front/Ramassis national attend son heure. Les gilets jaunes attendent le samedi pour se compter. Beaucoup de consciences politiques (dont la mienne) sont perplexes. En ces veilles de vacances, la tentation du repliement pourrait faire l’affaire : on verra bien plus tard.

Où ?

Plus tard, quand la réforme de l’Unedic aura asséché les poches de ceux qui n’ont que les allocations chômage pour vivre, quand la retraite par point aura détruit un système pas idéal, mais où on savait au moins ses droits, pas une loterie avec pleins d’inconnu, quand les plans sociaux auront allongé la cohorte de ceux qui basculent dans la misère ou la précarité. Plus tard quand les coups portés aux services publics les auront détruits. Plus tard quand les services hospitaliers des urgences ressembleront à une cour des miracles. Plus tard quand l’école publique sera un champ de ruines pour occuper les enfants des pauvres. Plus tard quand l’état policier tapera encore plus fort sur tous ceux qui ont le tort de regimber.

Au Bocal du Tech

Les engagements citoyens surgissent souvent là où on ne les attend pas, et aussi parfois à des moments où on ne les attend plus .La fête du travailleur Catalan rassemble régulièrement  beaucoup de ceux qui gardent l’esprit clair tourné vers une petite lumière qui s’appelle le progrès et qui se situe du côté gauche. Ils ne pensent pas tous pareil, mais ils aiment la démocratie, ils savent qu’elle se nourrit du débat, ils savent aussi et surtout qu’elle a besoin de l’engagement  de plus grand nombre, surtout si l’on veut y donner l’orientation sociale qui est l’oxygène de la vie. IL fera sans doute chaud au Bocal du Tech ce week-end, mais les équipes du Travailleur Catalan, comme du Parti Communiste ont prévu toutes les quantités d’oxygène nécessaire. Vous savez ce qu’il vous reste à faire !

JMP

lundi 10 juin 2019

Respect !


Respect !

La philosophie ??? Mal de cap !!! La force de Michel Serres, et ce n’est pas rien, a été de rendre la philosophie aimable, au sens plein du terme. A l’écouter, pas besoin d’aspirine, de froncements de sourcils, de questions inquiètes à son voisin immédiat : « Qu’est-ce qu’il dit ? ». On comprenait !

Ah si tous les philosophes avaient pu passer par la même école que lui, sans doute qu’en France on dirait moins de bêtises et on aurait une image moins rébarbative de la discipline. Comme si une malédiction réactionnaire voulait que parler philosophie, écouter de la philo, lire de la philo ne pouvaient être que des épreuves presque hors de la portée du commun des mortels. Il faut dire que certains philosophes y ont mis du leur. Pas seulement avec le contenu du discours, mais aussi avec le comportement.

De la vérité absolue..

Ainsi un philosophe, souvent de service, qui peut dire des choses intéressantes, qui a une trajectoire personnelle forte (l’Université populaire de Caen est une initiative intéressante apte à sortir la philo de son ghetto), Michel Onfray, pour ne pas le nommer, me donne de l’urticaire à chacune de ses apparitions à cause de l’attitude péremptoire, cassante, sans nuance de celui qui détient une vérité absolue que le couillon que je suis doit impérativement avaler. Quoi qu’il s’en défende ; c’est une caricature de philosophe aux  avis sans limite.

aux terrains de la vie…

Avec Michel Serres, nous sommes dans un autre monde, et cela nous fait du bien, cela fait du bien à la philosophie aussi. Et dieu sait qu’elle en a bien besoin ! Mais pourquoi donc j’invoque dieu : il n’a rien à voir là-dedans. La raison et la foi n’occupent pas le même terrain. La philo occupe le terrain de la vie, dans la variété de ses composantes, y compris les plus abstraites, et c’est à ces questions que tout bachelier moyen est confronté à la fin de son passage au lycée, comme point d’orgue de sa formation, un point d’orgue parfois un peu douloureux et dissonant.

Michel Serre a le souci constant que ça dissone le moins possible. Pour le prouver je m’appuierai sur un de ses derniers opuscules. « C’était mieux avant ».  Grand-papa ronchon veut faire la leçon à Petite Poucette,  la convaincre que son monde à lui est sans comparaison possible avec les déchéances, les turpitudes, les horreurs du monde d’aujourd’hui que, dans son innocence, Petite Poucette ne voit pas. C’est le discours maintes fois entendu, proféré, répété, en tous lieux et en toutes circonstances, et pas seulement par des pépés et mémés dont on pourrait penser qu’ils parlent de ce qu’ils savent, mais aussi par de jeunes sots qui jouent les perroquets de service.

et aux chances de Petite Poucette…

Ce titre est bien sûr à prendre avec toute l’ironie philosophique dont Michel Serres est capable. Une ironie pleine d’humanité. Il rappelle les guerres, les dictatures, les racismes, les sacrifices imposés à la nature, les maladies, les morts précoces, le manque d’hygiène, le sort réservé aux femmes, les outils désuets qui étaient les nôtres, la dureté du travail paysan, les difficultés de communications… Il ne pousse pas le paradoxe jusqu’à nous faire croire que nous vivrions aujourd’hui des temps de délices, mais il  veut convaincre sa Petite Poucette que quelques-unes des évolutions les plus récentes lui ont grandement facilité la vie, et qu’à l’échelle de notre espèce, à la différence des dinosaures, elle a avec ses semblables quelques chances de s’en sortir.

« Les progrès… produisirent une forte espérance de vie, qui produisit des vieillards, détenteurs de fortunes, non encore héritées. Nombre d’entre d’eux accèdent au pouvoir pour y installer le refus du progrès. En causalité circulaire, le progrès se freine lui-même. »,  écrit-il en conclusion de son ouvrage.

Il nous invite à ouvrir les yeux, à œuvrer lucidement pour le progrès et retrouve un peu la leçon du Candide de Voltaire. Sans doute, l’agité marxisto-chronique que je suis pourrait lui reprocher de ne pas faire la part assez belle aux luttes des femmes, des hommes. Encore que je me souviens avec délectation de son « j’emmerde les riches », lancé avec un sourire très sérieux lors d’une émission de télévision que visiblement il perturbait de son insolence. Michel Serres, respect !

Jean-Marie Philibert.