Histoire/peinture/politique
La commémoration du soixante-dixième anniversaire de la
retirade a donné lieu à de nombreuses initiatives souvent intéressantes,
toujours utiles. Les consciences sont marquées par ce qui s’est passé en
Espagne de 36 à 39 : la victoire du Frente Popular, le soulèvement
militaire, les fascistes, les franquistes qui s’attaquent à la république, une
guerre civile violente, longue, la lâcheté des démocraties européennes,
l’engagement de l’Italie fasciste et de l’Allemagne nazie aux côtés des
franquistes, l’Union soviétique au secours d’une république qui ne parvient pas
à dominer ses divisions, les brigades internationales, les résistances du camp
républicain, la défaite, l’exil de plus de 500 000 réfugiés dont le plus
grand nombre passe sur nos terres, y est
enfermé à ciel ouvert en plein hiver 39, Argelès, Saint-Cyprien, Rivesaltes…,
dans une indifférence souvent coupable, si ce n’est les bonnes âmes militantes
de ceux qui ont la solidarité chevillée au corps. On a compris un peu tard que
se jouait là comme une répétition générale de ce que le fascisme préparait pour
l’Europe dans les mois qui allaient suivre.
Picasso et l’exil
Une initiative du musée des Abattoirs de Toulouse, qui dure
jusqu’au 25 août est d’un intérêt majeur pour tous ceux qui se questionnent sur
ce qui fut une tragique erreur historique, morale et politique. Elle est
intitulée « Picasso et l’exil,
une histoire de l’art espagnol en résistance ». Elle est née d’un
travail conjoint avec le musée Picasso de Paris, et bien sûr s’appuie sur
l’œuvre emblématique que reste Guernica. Ayant eu la chance de la parcourir
avec les commentaires d’Anabelle Ténèze, conservatrice des Abattoirs et une des
commissaires de l’exposition, je tiens à vous faire partager les enseignements
et les émotions dont elle est porteuse et à vous inviter à vous y rendre. C’est
une rencontre avec des œuvres majeures de l’avant-garde espagnole, avec les
échos qu’elles ont engendrés, c’est une leçon d’histoire, avec tous les
documents du quotidien, c’est un rappel politique du plus haut intérêt dans un
temps où, en jouant la confusion, certains voudraient nous faire perdre notre
gauche et l’impérieuse nécessité de l’engagement.
Un instrument de
guerre
Là-dessus, Pablo Picasso est des plus
clairs : « Non, la peinture n’est pas faite pour
décorer les appartements, c’est un instrument de guerre offensive et défensive
contre l’ennemi. » Dans ces temps, les ennemis ce sont les ennemis
de la république. Dès le début des événements tragiques, Picasso dit son
attachement à la république, lui qui a quitté au début du siècle son Espagne
natale pour participer à la grande aventure de l’art moderne dont Paris est le
centre, une sorte d’exilé artistique, garde un attachement indéfectible à son
pays, la République espagnole fait appel à sa notoriété pour présider aux
destinées du musée du Prado. C’est un temps où son engagement reste discret,
mais il accepte de servir l’Espagne, comme il accepte une commande du Front
Populaire en France en 1936, un rideau de scène pour la présentation d’une
pièce de Romain Rolland intitulée « Le 14 Juillet ». Ce rideau de
scène est aux Abattoirs, il est intitulé « la dépouille du Minotaure en costume
d’Arlequin », on y voit le Minotaure aux mains d’un oiseau de proie,
symbole fasciste s’il en est, avec en perspective ceux qui veulent sauver le
minotaure. Les commentateurs de l’œuvre de Picasso voient, avec raison, dans ce
travail une démarche que l’on retrouve avec Guernica.
Guernica
En 1937 Picasso reçoit la commande du gouvernement espagnol
d’un panneau qui doit rendre place dans le Pavillon espagnol, à Paris, de l’exposition universelle de 37, la
commande est de janvier, l’œuvre sera terminé le 7 Juin Guernica est bombardé le 26 avril. Lui, le
peintre de la couleur et de la vie, il fait une œuvre en noir et blanc pour
dire la mort, l’horreur du massacre des civils, un jour de fête. Elle deviendra
l’emblème de tous les cortèges d’atrocités dont les barbares de notre siècle
seront les auteurs. Elle s’inscrira dans la conscience collective comme un cri
de révolte devant l’inhumanité. L’œuvre voyagera pour défendre la république,
elle voyagera pour en perpétuer le souvenir, Picasso fera le nécessaire pour
qu’elle ne revienne en Espagne que lorsque les libertés démocratiques y seront
rétablies, il faudra attendre. L’œuvre est fragile, elle ne voyage plus. Vous
ne la verrez pas à Toulouse, vous en verrez des duplications avec des
proportions similaires.
Et le frigo
Elle est un point d’ancrage de l’engagement du peintre pour
participer, soutenir, financer, organiser aussi la lutte des artistes aux côtés
des républicains, dans la guerre civile. Des pièces d’archives en montrent le
quotidien. La victoire franquiste fera de Pablo, un exilé politique volontaire,
fidèle à la mémoire de l’Espagne républicaine, membre du parti communiste. Pour
tous ceux qui combattront le franquisme, il restera un acteur de la lutte
contre la dictature, refusant tous les rapprochements possibles. Le retour de
Guernica à Madrid ne lève pas toutes les interrogations. Comme s’il y avait
encore un cadavre dans le placard : ainsi une œuvre contemporaine nous
montre derrière la vitre d’un frigo un caudillo congelé, mais observateur d’une
évolution qui n’a pas l’air de lui agréer. Tant mieux !