Respect !
La philosophie ??? Mal de cap !!! La force de
Michel Serres, et ce n’est pas rien, a été de rendre la philosophie aimable, au
sens plein du terme. A l’écouter, pas besoin d’aspirine, de froncements de
sourcils, de questions inquiètes à son voisin immédiat : « Qu’est-ce
qu’il dit ? ». On comprenait !
Ah si tous les philosophes avaient pu passer par la même
école que lui, sans doute qu’en France on dirait moins de bêtises et on aurait
une image moins rébarbative de la discipline. Comme si une malédiction
réactionnaire voulait que parler philosophie, écouter de la philo, lire de la
philo ne pouvaient être que des épreuves presque hors de la portée du commun
des mortels. Il faut dire que certains philosophes y ont mis du leur. Pas
seulement avec le contenu du discours, mais aussi avec le comportement.
De la
vérité absolue..
Ainsi un philosophe, souvent de service, qui peut dire des
choses intéressantes, qui a une trajectoire personnelle forte (l’Université
populaire de Caen est une initiative intéressante apte à sortir la philo de son
ghetto), Michel Onfray, pour ne pas le nommer, me donne de l’urticaire à
chacune de ses apparitions à cause de l’attitude péremptoire, cassante, sans
nuance de celui qui détient une vérité absolue que le couillon que je suis doit
impérativement avaler. Quoi qu’il s’en défende ; c’est une caricature de
philosophe aux avis sans limite.
aux
terrains de la vie…
Avec Michel Serres, nous sommes dans un autre monde, et cela
nous fait du bien, cela fait du bien à la philosophie aussi. Et dieu sait
qu’elle en a bien besoin ! Mais pourquoi donc j’invoque dieu : il n’a
rien à voir là-dedans. La raison et la foi n’occupent pas le même terrain. La
philo occupe le terrain de la vie, dans la variété de ses composantes, y
compris les plus abstraites, et c’est à ces questions que tout bachelier moyen
est confronté à la fin de son passage au lycée, comme point d’orgue de sa
formation, un point d’orgue parfois un peu douloureux et dissonant.
Michel Serre a le souci constant que ça dissone le moins
possible. Pour le prouver je m’appuierai sur un de ses derniers opuscules.
« C’était mieux avant ».
Grand-papa ronchon veut faire la leçon à Petite Poucette, la convaincre que son monde à lui est sans
comparaison possible avec les déchéances, les turpitudes, les horreurs du monde
d’aujourd’hui que, dans son innocence, Petite Poucette ne voit pas. C’est le
discours maintes fois entendu, proféré, répété, en tous lieux et en toutes
circonstances, et pas seulement par des pépés et mémés dont on pourrait penser
qu’ils parlent de ce qu’ils savent, mais aussi par de jeunes sots qui jouent
les perroquets de service.
et aux
chances de Petite Poucette…
Ce titre est bien sûr à prendre avec toute l’ironie
philosophique dont Michel Serres est capable. Une ironie pleine d’humanité. Il
rappelle les guerres, les dictatures, les racismes, les sacrifices imposés à la
nature, les maladies, les morts précoces, le manque d’hygiène, le sort réservé
aux femmes, les outils désuets qui étaient les nôtres, la dureté du travail
paysan, les difficultés de communications… Il ne pousse pas le paradoxe jusqu’à
nous faire croire que nous vivrions aujourd’hui des temps de délices, mais il veut convaincre sa Petite Poucette que
quelques-unes des évolutions les plus récentes lui ont grandement facilité la
vie, et qu’à l’échelle de notre espèce, à la différence des dinosaures, elle a
avec ses semblables quelques chances de s’en sortir.
« Les progrès… produisirent une forte espérance de vie,
qui produisit des vieillards, détenteurs de fortunes, non encore héritées.
Nombre d’entre d’eux accèdent au pouvoir pour y installer le refus du progrès.
En causalité circulaire, le progrès se freine lui-même. », écrit-il en conclusion de son ouvrage.
Il nous invite à ouvrir les yeux, à œuvrer lucidement pour le
progrès et retrouve un peu la leçon du Candide de Voltaire. Sans doute, l’agité
marxisto-chronique que je suis pourrait lui reprocher de ne pas faire la part
assez belle aux luttes des femmes, des hommes. Encore que je me souviens avec
délectation de son « j’emmerde les riches », lancé avec un sourire
très sérieux lors d’une émission de télévision que visiblement il perturbait de
son insolence. Michel Serres, respect !
Jean-Marie Philibert.
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