Mercredi 15
Février, 20 heures, fermez les yeux, allumez la radio, le Président Sarkozy
vous parle :
Ch’ suis venu vous dire que ch’ m’en vais.
Ça vous en bouche un coin (hein !). Je crois que ce qui
vous étonne le plus, c’est l’éclair de lucidité dont ce départ, au faîte (j’ai
du vocabulaire, hein) de ma grandeur, témoigne. Je sais pendant cinq ans je ne
vous avais pas habitué à cela ; je me suis accroché au pouvoir comme un
malade, je me suis augmenté comme un malpropre,
je me suis comporté comme un sagouin. J’étais le Président, et tous les
Ministres à la fois, du premier au dernier. J’engueulais tous ceux qui autour de moi voulaient me donner le moindre
conseil. Je parlais mal, de plus en plus mal. J’avais la baraka et malgré ma
petite taille j’avais l’ambition des géants. Mais mon bel édifice (c’est une
belle image, n’est-ce pas ?) … Je ne parle pas de l’Elysée, je parle de
moi (vous suivez ?) … Mon bel édifice s’est soudainement lézardé, sans
raison apparente. Un signe de la Providence sans doute puisque c’est au retour
de la visite à Jeanne d’Arc en Lorraine que j’ai senti qu’il se passait quelque
chose en moi d’inhabituel : un calme constant dans la vie quotidienne, une
écoute attentive de mes interlocuteurs, une empathie (encore un mot savant,
c’est Carla qui me l’a appris) très profonde pour toutes les souffrances qui
m’entouraient. Pendant des années je ne les ai pas vues ! C’est
drôle ! Non !
Tu es tout
sauf un imbécile
Je n’avais plus aucun goût pour le bling-bling, c’est
dire ! J’étais devenu un
autre : je ne savais plus mentir, je ne savais plus promettre ce que je ne
pourrais par tenir, je ne savais plus faire semblant d’aimer les gens que je
n’aimais pas. Je voyais tout avec des yeux neufs. Je me suis dit : « Nicolas
ne laisse pas passer ta chance ! Tu
peux relancer ta vie sur des bases plus solides, tu peux avoir le temps de
faire des mamours à ta fifille et à ta Carlita : n’hésite pas. Il n’y a
que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Et toi, tu es tout sauf un
imbécile » Vous trouvez, vous aussi ?
Ma décision a mis peu de temps à mûrir ; j’aurais pu
continuer à faire semblant. Les ors de la république ça vous rend la vie
drôlement facile. Les courtisans de toutes sortes qui vous flattent à longueur
de journée, ça vous aide à croire à
votre génie. Et tout ce pognon qui tombe… Et
tous ces honneurs … Et tout ce faste … Et tous ces avions que pour moi.
J’avais pris goût à la puissance. Je sauvais le Monde tous les quinze jours. Pécadille que tout ce tralala : la vérité
n’est pas là.
Au bout du
monde.
Carla m’a dit : « Je te suivrai au bout du
monde avec la petite ! » J’ai donc décidé de partir au bout du monde.
J’ai acheté une maison à Finestret, une maison toute simple. Et je vais m’y
retirer pour me consacrer à la vie humble et modeste de celui qui a enfin
trouvé la paix de l’âme.
Je sais que vous allez avoir beaucoup de mal à trouver un
président de ma trempe, mais comprenez l’impérieuse nécessité qui est la
mienne. Après avoir sauvé le monde tant de fois, il faut bien que j’essaie au
moins une fois de me sauver moi-même. L’heure a sonné.
Françaises, Français, je vous quitte donc, je sais que mon
départ va faire plaisir à quelques uns, même dans mon propre camp où les faux
culs pullulent.
Je penserai à vous.
Vous penserez à moi … assis sur le banc des sénateurs de
Finestret et refaisant le monde.
Ch’suis venu vous dire que ch’m’en vais… à Finestret.
Vive Finestret ! Vive la France et vive Moi !
Enfin !
Vive la lucidité
retrouvée !
(Cela peut faire du bien de rêver un peu, avant de l’envoyer
bientôt et pour de vrai… très-très loin de Finestret et d’ailleurs)
Jean-Marie PHILIBERT.