Mouvement.
Des années d’enseignement de la langue française ne peuvent
que laisser quelques traces : en particulier une grande sensibilité aux
sens des mots, une crainte toujours présente celle de voir ces sens peu à peu
se vider de leur richesse et les mots se vider de leurs vies. Vous me direz que
c’est le propre de toute langue de mettre du sens en mouvement et que cela ne
peut pas se faire sans casser quelques œufs et torpiller quelques mots. Mes
centaines d’élèves en ont torpillé pas
mal, ils en ont inventé tout autant. Cela ne peut que donner allégresse et
richesse à une pratique qui est fondatrice dans la construction de la
personnalité, comme de la culture, et qui peut se mener sans limite d’âge. Il
suffit d’aimer les mots et en général ils vous le rendent bien. Les profs de
français aiment les mots, certains de leurs élèves aussi, les journalistes
aussi. Même si entre les profs et les journalistes des querelles surannées et
passéistes peuvent opposer des approches académiques et modernistes qui sont
toujours emportées par le mouvement de la vie qui tranche… dans le vif.
A propos
d’un éditorial.
Et c’est de ce mouvement de la vie que j’ai l’intention de
vous parler aujourd’hui, à propos d’un éditorial écrit dans le quotidien local
que je ne cite pas parce qu’il n’y en a qu’un,
intitulé justement « Mouvement » et qui traite de la
conférence de presse de celui que dans le billet précédent je comparais à Lou
Ravi et à Tartuffe réunis (c’était la séquence révision). Vous avez deviné de
qui il s’agit. Le billettiste que je suis peut s’autoriser des libertés qu’un
éditorialiste n’a pas. Je peux partir
dans tous les sens, me moquer des uns et des autres, chercher à amuser mon
lectorat. Le journaliste sérieux qui écrit son édito a un sens à faire passer,
qui soit à la fois le sien, celui du journal, celui du ou des patrons du
journal, celui des hobereaux locaux et aussi un peu celui du public.
Et le sens que l’Indép (oh zut, je l’ai cité) donne au mot
mouvement mérite quelques commentaires.
Il doit
accélérer !
D’abord, une petite perfidie,
en disant que la seule chose nouvelle et intéressante qu’Hollande ait
annoncée dans sa conférence de presse n’était pas de lui, mais d’un de ses inspirateurs, l’artiste suisse
Jean Tinguely ( un inventeur de mobiles en tous genres) qui a dit « La
seule chose stable, c’est le mouvement ».Et l’éditorialiste, de s’appuyer sur ce paradoxe pour gloser sur
tout ce qui bouge en ce bas monde, d’autant plus que la crise a horreur de
l’immobilité. Et de déboucher sur la conclusion imparable : le chef de
l’état doit bouger et vite. Jusque-là il
a tout fait au ralenti, il doit accélérer et en profondeur… « sur les
retraites, sur le gouvernement économique de l’Europe, sur les grands chantiers
d’avenir. »
En marche
arrière.
Comme vous n’êtes pas
des lecteurs idiots, vous avez compris que le mouvement préconisé sur les
retraites, c’est un mouvement à sens unique, ou en marche arrière, comme vous
voulez : travailler plus longtemps, payer plus de cotisations, pour partir
plus âgés (et contents sans doute) avec des retraites réduites. Comme disent
les linguistes, le beau mot de mouvement a perdu toute sa polysémie,
c'est-à-dire toute la richesse de ses sens multiples, divers et ouverts, que
notre éditorialiste ne semble même pas soupçonner, pour servir à bourrer les
crânes d’un mensonge éhonté : le pays ne peut plus nourrir ses vieux, il
va falloir passer à la caisse et faire passer à la casse dans la foulée tant d’autres
droits qui ne sont que des survivances d’un monde défunt. Les millions de
chômeurs, de précaires, les tonnes de retraités pauvres, la misère sociale enkystée, c’est le fatum,
on n’y peut rien. Hollande doit bouger dans le sens d’une politique encore plus
réactionnaire pour que tous les réactionnaires du monde entier puissent en se
donnant la main dire : on a gagné, regardez dans quel état on a mis le
pays qui a fait quelques révolutions, qui a organisé la Résistance, qui a
inventé un état social. Et cerise sur le gâteau : c’est un socialiste qui
est à la manœuvre.
Chapeau !
La réaction !
Chapeau ! La réaction ! Autant j’ai beaucoup de mal
à voir la richesse du mot « réaction », c’est très univoque la
réaction, c’est toujours moins de liberté, de droit, de salaires, de
démocratie, de justice…. autant je sais d’expérience la richesse du mot
« mouvement », les potentialités dont il est porteur, les dérives
qu’il a empêchées, les bouleversements qu’il a amenés dans nos vies, les
surprises qu’il a produites. Je sais aussi qu’il n’est jamais l’œuvre d’un seul
homme, aussi puissant soit-il, mais celui d’un peuple dans l’urgence de la
construction de son avenir. Et sur ces sujets-là, le peuple a son mot, ses
mots, à dire, je crois qu’il a même
prévu de les dire. Ce qui ne va pas plaire à notre journaliste pris dans un
mouvement qui visiblement le dépasse complètement. Et c’est tant mieux !
Jean Marie PHILIBERT.
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