Du
réalisme.
J’en ai un peu assez de toujours taper sur les mêmes, non pas
qu’ils ne le méritent pas, on dirait qu’ils font tout pour ça. Regardez
Hollande et son nouvel abandon du projet de taxation des très haut
revenus : il envoie Moscovici dire avec la bouche en cul de poule et sa
dose de conviction toujours au top que cela serait inutile, et hop une promesse de plus aux oubliettes. La
droite, c’est pareil : ils n’arrêtent pas de jouer à plus réac que moi tu
meurs. La bataille contre le mariage pour tous leur va comme un gant :
c’est un cache-misère idéologique où chacun puise ce qu’il veut et où ils
peuvent faire copain-copain avec encore plus réacs qu’eux. Dans les rubriques
locales rien n’émerge : Pujol, il est de plus en plus nobody dans une
ville fantôme.
Du risotto…
Alors sortons de ce qui fâche pour nous distraire en évoquant
des sujets plus légers, plus culturels. La culture peut représenter parfois un
moment de respiration dans un monde trop prégnant. Et d’autant plus que la
culture qui nous était, là, promise
n’était pas que divertissante, on la disait aussi nourrissante. Il
s’agit du dernier spectacle de la saison de notre « cher » (dans tous
les sens du terme et en particulier pour les finances locales) Théâtre de
l’Archipel. Le titre « Risotto », un essai sur l’art du risotto,
« une amitié de cinquante ans racontée, le temps de la préparation et de
la cuisson d’un risotto d’exception, par deux italiens… » . Le théâtre
est-il contaminé par la prolifération d’émissions culinaires de
télévision ? Le spectacle de nos deux italiens serait antérieur à cette déferlante et
tiendrait lieu de performance dans ce qu’ils appellent « une dramaturgie
de la réalité ». Je me garderai de tout jugement ferme et définitif sur un
spectacle où je me suis copieusement ennuyé : à voir les départs
prématurés de quelques spectateurs, je n’étais pas le seul. Je voudrai surtout
m’interroger sur ce que peut être, doit être une dramaturgie de la réalité et
plus largement sur la question du réalisme au théâtre, dans les arts en
général, et peut-être même au-delà.
A une
réalité dramaturgique...
Suffit-il de mettre une gazinière sur une scène, d’y couper
des oignons, d’y pleurer (à cause des oignons), de veiller à ce que la cuisson
du risotto soit comme il faut et d’inviter les spectateurs à venir le déguster
pour que la réalité devienne dramaturgique et la dramaturgie réalité ? On
a là un nouvel avatar du schématisme ambiant qui réduit la réalité à ses
apparences et qui en les théâtralisant tente de leur donner la force de la vie.
Le spectacle du monde devient le monde et nous devenons les victimes d’un
réalisme trompeur. Dans ce monde-spectacle il ne nous restera plus qu’à rester
sage comme des images qui regardent des images qu’ils croient vraies.
Et le monde politique fonctionne sur un schéma qui n’est pas
très éloigné de celui de nos compères italiens (mes démons reviennent) :
nous croulons sur les images « vraies » prises en « live »,
en général mises en scène dans les journaux télévisés successifs. Hollande au
Mali, en Ethiopie, en Allemagne. Emmanuel Valls sur le terrain des
manifestations … Elles sont la réalité et ils sont le réalisme. La force de
l’image, du concret, de la preuve tangible qui s’impose à nous sans discussion
possible. Leur parole devient alors incontestable et la contestation est donc
inutile. C’est la loi du risotto.
Pour une
leçon très riquiqui.
Il est donc alors aisé de glisser du sentiment du réalisme
et d’une vérité indiscutable à
l’évocation de toutes les conséquences qui ne peuvent qu’en découler
naturellement. Ainsi Hollande lors de la
Fête des 150 ans du parti social-démocrate allemand : « Le réalisme
ce n’est pas le renoncement à l’idéal, mais l’un des moyens les plus sûrs de
l’atteindre. Le réformisme ce n’est pas l’acceptation d’une fatalité, mais
l’affirmation d’une volonté. Le compromis ce n’est pas un arrangement, mais un
dépassement… »
Je me fais une autre idée du réalisme, aussi bien au théâtre,
qu’en politique et en philosophie : limiter le réalisme aux seules dimensions d’un monde possible,
c’est l’enfermer dans un réel qui en sclérose les potentialités et renoncer
définitivement à toute perspective de transformation sociale. C’est ouvrir
toutes grandes les portes du réformisme, des compromis et des petits
arrangements qui ne nous offrent qu’un risotto insipide.
Jean Marie PHILIBERT
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