ETRE
INTELLIGENT !
C’est peu dire que la question de la génétique a été au cœur
des débats idéologiques des dernières décennies et plus particulièrement dans
les domaines de la formation, de l’éducation. Les débats autour de l’inné et de
l’acquis nous ont copieusement occupés, chacun y allant avec ses certitudes
dont les fondements rationnels et scientifiques donnaient parfois le sentiment
de laisser à désirer. Les partisans farouches de la suprématie de l’acquis
avaient beau jeu de montrer que
l’idéologie des dons intellectuels innés avait pendant bien longtemps servi de
justificatif à des politiques scolaires
violemment ségrégatives et de cache sexe à la puissance de l’argent qui fondait
(et elle continue) la division de la
société. Les classes sociales… mais c’est génétique voyons.
La question
perdure
Et ça commence dès l’école. Je caricature certes, les choses
ont bougé, l’accès aux savoirs s’est démocratisé, la fonction de reproduction
sociale a été un peu bousculée ; mais la question perdure. L’intelligence
pour qui ? Pourquoi (en un mot) et pour quoi (en deux mots)? Comment ? Y a-t-il
ordre, justification, explication, rationalité. La littérature sur ces
interrogations n’a cessé de s’enrichir, sans percer le mystère. Je pense même
que c’est préférable quand on voit aujourd’hui l’obsession d’un grand nombre
d’ego hypertrophiés : être plus égaux que les autres. Imaginez ce que cela
serait s’il avait la clef du temple de l’intelligence.
Et c’est là que des hommes comme Albert Jacquard vont être
d’un très grand secours pour qu’on continue à garder la tête (fût-elle mal
faite et pas très pleine) sur les épaules. En même temps qu’il fut un militant
de progrès, un défenseur des opprimés, des mal-logés, des sans-papiers, un
artisan de toutes les démarches unitaires (ce dont le TC vous parle par
ailleurs), Albert Jacquard fut un scientifique, spécialiste de génétique des
populations, et pour notre bonheur un extraordinaire vulgarisateur qui avait le
don de rendre simple la complexité du réel.
Des pistes.
J’ai le souvenir d’une de ces lectures lumineuses,
extraite d’un ouvrage de 1983, intitulé
« Moi et les autres » où il s’interroge et nous interroge sur la
question de l’intelligence. Il ridiculise bien sûr la prétention des tests à la
circonscrire, il met l’accent sur les efforts quotidiens à faire, sur les
rapports entre imaginaire, invention et intelligence. Et il conclut. Je pense
qu’il faut tout citer.
« Que
répondre finalement à la question qui m’avait été posée : comment devenir
intelligent comme vous ?
-Tout
d’abord qu’il ne s’agit pas d’être intelligent comme un tel, cela n’a aucun
sens ; deux intelligences sont nécessairement différentes, sans que, pour
autant, l’une soit supérieure à l’autre ; les intelligences sont trop
complexes pour être hiérarchisées ; cherchons à être intelligent, mais ne
nous donnons pas de modèle ;
-que la
question était bien formulée, car elle admet que l’on n’est pas intelligent, on
le devient ;
-qu’il est
très facile de ne pas devenir intelligent, la recette est simple :
s’assoupir dans la passivité des réponses apprises, renoncer à l’effort de
formuler ses propres questions ;
-que
devenir intelligent, c’est suivre la voie inverse, c’est procéder au dressage
de cet animal rétif, paresseux qu’est notre cerveau ; c’est le contraindre
à aller au bout des questionnements, à ne pas se satisfaire trop facilement de
réponses toutes faites ; c’est faire flèche de tout bois, les dons de la
nature comme les apports de l’aventure, pour construire l’outil intellectuel
qui nous permet d’être nous-même ; c’est se créer soi-même. »
Merci Albert Jacquard !
Jean-Marie PHILIBERT.
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