De la
photo… à la poésie
Non ! Je ne vais pas cracher dans la soupe. J’ai appelé
le maire de Perpignan monsieur Nobody (monsieur Personne pour les non
anglicistes) à cause de sa propension à désertifier tout ce qu’il touche, de
l’avenue de la Gare , du Centre du monde, du boulevard Clémenceau au
centre-ville ancien et de son enfermement dans une spirale qui fait de
PERPIGNAN et de son agglo la reine des zones commerciales multiples et variées
plus laides les unes que les autres au détriment d’une belle ville qui se vide
de son suc.
Je me suis trompé.
Eh bien, je l’écris haut et fort, je bats ma coulpe, je me
suis trompé. Mon erreur sera de courte durée, la durée de Visa. Mais elle est
réelle. Pendant la première quinzaine de septembre la ville retrouve sa vie,
son charme et son animation. Le festival du photojournalisme attire beaucoup de
monde, des gens d’ici et des gens d’ailleurs, des professionnels et des
amateurs, des curieux et des sceptiques. Le festival entraîne dans son sillage
une floraison d’initiatives où l’image est reine et suscite chez de nombreux
amoureux de la photo le besoin de montrer leur travail, de le confronter à un
public qui se laisse facilement conquérir.
Autre charme de cette initiative : la découverte ou
redécouverte de vieux bâtiments de la ville d’un intérêt architectural
authentique dont je n’arrive pas à comprendre qu’il ait fallu attendre si
longtemps pour les mettre ( un peu) en valeur
alors qu’il y a là une richesse touristique qui est le plus souvent
inexploitée ( le syndrome du nobody sans doute qui hante l’équipe municipale).
Je pourrais prendre de multiples exemples : le Couvent
Sainte Claire, l’ancienne prison de la ville, des lieux beaux et forts que Visa
a permis de redécouvrir, mais que la municipalité s’est empressée de scléroser
pour y déposer les reliques des nostalgiques de l’Algérie française à la
fréquentation confidentielle. La Chapelle du Tiers Ordre, la Place de la Révolution Française, la
caserne Gallieni, des lieux qui
mériteraient de vivre plus que quinze jours par an, qui pourraient
réveiller un centre-ville qui se meurt, qui œuvreraient à mettre de la mixité
sociale dans des quartiers déshérités.
Voilà pour le cadre, la ville est belle (elle pourrait
l’être bien plus encore), elle grouille de monde, elle suscite un intérêt
certain en défendant le photojournalisme. Des motifs de satisfaction !
Et pourtant…
Et pourtant en
parcourant les cimaises des différents lieux d’exposition dont on vous parle
par ailleurs dans le TC, j’ai comme un malaise, qui n’est pas nouveau, c’est
pratiquement le même tous les ans, mais il n’a pas nécessairement la même
vigueur. Cette année il s’accompagne d’un vers d’Aragon qui revient comme un
leitmotiv face aux spectacles de toutes les horreurs du monde que les photos
donnent à voir, un vers d’un poème du « Roman inachevé » qui dit la
désespérance d’un homme face à l’amour impossible dans une ville abîmée par la
guerre :
« Est-ce ainsi que les hommes vivent… »
Les souffrances des femmes pachtounes, la pacification au
forceps des favelas de Rio, la violence domestique d’un couple américain, les
guerres en tous genres, les armes de toutes les couleurs, des enfants, des
femmes, des hommes qui pleurent de douleurs, la maladie mentale que l’on soigne
pas ou mal, Alep martyrisé, on ne sait plus par qui… Des images du monde.
N’est-ce que cela ? Loin de moi l’ambition du faire du photojournalisme le
propagandiste de l’idéologie des bisounours : je sais le monde, son
cortège d’horreurs et de turpitudes. Mais de la dialectique, de la diversité,
la vie complexe d’ici, comme d’ailleurs, les luttes des hommes et les lueurs
d’espoirs qu’ils y allument, le bémol mis au sensationnalisme, des distances prises par rapport à une fatalité morbide me semblent en mesure
d’enrichir une démarche qui a un enjeu d’importance : la survie économique et financière du
photojournalisme que je ne voudrais pas voir condamné à nous rejouer la mort du
cygne.
« C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
…Moi j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent… »
Peut-on s’habituer aux malheurs du monde ? La force des
images ne change rien à ma réponse : non !
Jean-Marie PHILIBERT
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