C’est grave, docteur ?
Par ces temps troublés, dans tous les Cafés du Commerce de
France et de Navarre, on en entend de toutes les couleurs, pas des plus fines,
ni des plus pertinentes à l’image de notre monde tourneboulé. Nos reporters
sont allés enquêter ; ils ont laissé traîner leurs oreilles et ils n’ont
pas été déçus.
« Mon
Dieu ! On ne sait pas où on va, mais on y va !
-Vous avez vu les Bretons, patrons et ouvriers ensemble,
c’est comme ça qu’il faut faire ! Ils font pas de politique eux au
moins !
-Nous on pourrait faire pareil avec la baratina sur la tête
et les vigatanes aux pieds…
-Tout le monde est mécontent, les agriculteurs, les
artisans…
-Et puis, je vous le dis, et je vous le redis, il y a trop
d’étrangers : ils ont tous les droits et nous aucun. Ça ne peut pas
durer !
-Même qu’ils volent les plaques d’égout, maintenant !
Où allons-nous ?
Tous les mêmes…
-La gauche, la droite, c’est tous les mêmes,
-Ils nous pressurent comme des citrons,
-Ayrault, il est cramé, Valls, il pourrait devenir premier
ministre, on a besoin d’être commandés,
-Il y en a qui parlent de Ségolène, la Valérie, elle va pas
être contente. C’est une jalouse.
-Pourquoi ils font tant de foin avec la fraude
fiscale ? La fraude fiscale, la fraude fiscale, la fraude fiscale, mais
c’est humain…
-C’est comme le racisme, ça vient tout seul, c’est naturel…
-Y a pas de quoi en faire toute une histoire… et encore moins des manifestations.
-Vous avez vu, même les chevaux manifestent maintenant à
Montpellier… Ils avaient mis des bonnets rouges.
-Ils voulaient plus d’avoine ?
De l’avoine !
-Moi j’en voudrais un peu plus aussi…
-Hollande il a été hué, ça fait peine quand même.
-Il n’y a pas de travail… surtout pour ceux qui n’en
cherchent pas !
-Ce n’est plus comme avant, avec ce mariage pour tous ils
ont tout perturbé,
-Vous êtes pour l’école à quatre jours ou à quatre jours et
demi vous ?
-Moi je suis pour pas d’école du tout : tous ces
diplômes ça ne sert plus à rien…
-Et tous ces fonctionnaires qui nous coûtent si cher.
-Où allons-nous ? Mais dans la pétaudière…
Voyons ! »
L’aporie.
Inquiets devant l’avalanche de sottises, nous nous sommes
adressés à des esprits philosophiques élevés, pour nous aider à diagnostiquer le mal :
« C’est grave, docteur ?
-Cher Monsieur, un tel niveau d’âneries n’est pas le signe
d’une santé mentale parfaite, loin de là ! Il faut voir dans le désordre
de ces propos les signes tangibles d’une aporie, dans vos contrées lointaines
on parlerait de cascades de cagades, il s’agit d’une incapacité de la raison à
comprendre une réalité qui la dépasse et de la certitude qu’il est devenu
possible de dire sans risque n’importe quoi. Le mal est accentué par les tonnes
d’idioties diffusées aux heures de grande écoute dans la petite lucarne et par
la confusion sciemment entretenue par toute une panoplie de forces politiques
qui pensent tirer les marrons du feu.
-Que faire, docteur ?
-Les fondamentaux ! De la lutte sociale en comprimés
quotidiens fortement dosés, un régime alimentaire d’unité sans réserve et de
solidarité, une pleine conscience des enjeux politiques, une volonté farouche
de défendre sa liberté, sa dignité… et un esprit critique toujours
branché… »
Jean-Marie Philibert.
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