Ils n’ont
pas tous compris le message de Madiba.
Aussi loin que je remonte dans ma vie militante, je trouve
deux noms qui ont animé nos jours, nos défilés, nos rassemblements, nos colères :
le Vietnam et Nelson Mandela. Deux noms qui signifiaient l’inhumanité du monde,
son injustice, deux noms qui disaient que nous n’acceptions ni la mise au pas,
ni le dépeçage, ni l’écrasement d’un pays qui ne prétendait qu’à construire de
façon libre et indépendante son destin, ni la ségrégation raciale qui avait
servi de fondement à des décennies de colonisation et de rejet de l’humanité de
tous ceux qui n’avaient pas la bonne couleur de peau.
Ces combats emblématiques ont non seulement formé nos
consciences, mais ils ont produit leurs fruits : le Vietnam est un pays
farouchement libre et c’est très bien. L’Afrique du Sud est devenu un pays
multiracial et ceux qui ont combattu l’apartheid, ceux qui en ont été les
millions de victimes ont été démocratiquement
désignés pour exercer le pouvoir : Mandela a été le pionner,
l’artisan, le père de cette nation nouvelle construite sur la volonté de bâtir
un monde juste, solidaire et respectueux des différences. Le paradoxe tient à
ce que ceux auxquels on avait refusé justice, solidarité et respect l’imposent à tous.
Les nôtres ?
Des moments où l’histoire avance parce que les hommes se
battent : que le cœur du combat, ses artisans majeurs, soient l’ANC et
tous ceux qui se reconnaissaient dans une démarche radicale, est une évidence.
Mais les questions de l’apartheid, de la discrimination raciale, les séquelles
du colonialisme, l’ambition de construire un monde libre où le respect des
droits déborde des frontières sont
devenues planétaires. Les batailles du Vietnam et de Mandela ont été les
nôtres. Les nôtres ? Qui tu mets là-dedans ?
Il est vrai qu’à voir l’avalanche d’hommages qu’a déclenchés
la mort de Madiba on pourrait y mettre beaucoup de monde ; ils se sentent tous obligés de l’appeler par
son diminutif affectueux, surtout ceux qui ont à faire oublier qu’ils ont
toujours préféré le régime blanc au pouvoir à Pretoria.
Mais moi je n’ai aucune raison d’y mettre les réactionnaires
aux petits pieds ou aux grands pieds qui trouvent très généreux le combat contre
le racisme et contre les discriminations à condition que ce soit le plus loin
possible de leurs frontières. Je n’ai aucune raison de croire à l’engagement
anti-apartheid de ceux qui ici et maintenant organisent la chasse aux
sans-papiers. Je n’ai aucune raison de croire les bonnes intentions de ceux qui
font de l’islamophobie la pierre angulaire de leurs rancœurs.
Je me pince.
Et quand je vois le maire de notre ville, bien connu pour la
magistrale façon dont il a su dépasser
les soubresauts de l’histoire de la colonisation, faire dresser un grand
portrait de Nelson Mandela en salle du conseil Municipal et tenir, devant
l’icône de la réconciliation entre blancs et noirs, la dernière réunion du
conseil, je me pince, je me crois victime d’hallucination. J’ai tout
faux !
Il ne l’a pas fait à l’insu de son plein gré ; il est
un thuriféraire de la lutte contre le racisme. C’est celui qui le dit qui
l’est !
Et il veut rendre hommage à ce grand homme qui a su
réconcilier le peuple noir et le peuple blanc. C’est tout à son honneur.
Petite perfidie.
Mais petite perfidie, toute petite : comment se fait-il
que son admiration pour Mandela ne lui ait inspiré, à lui qui se plait ou se
complait à évoquer la guerre d’indépendance d’Algérie et le sort malheureux des
rapatriés, aucune démarche qui aurait pu dépasser les clivages de la
décolonisation, dans une ville où les communautés concernées sont nombreuses.
Pourquoi consacre-t-il une part non négligeable du budget de la ville à
entretenir ce qu’il faut bien appeler un musée de l’Algérie française ?
L’heure de la réconciliation n’a-t-elle pas sonné ? A-t-il bien compris le
message de Madiba ? C’est sans doute ce reproche que je lis dans le
sourire distancié du portrait de Mandela !
Jean-Marie Philibert.
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