La
mayonnaise
Il y avait déjà quelque temps que je ne vous avais pas parlé
de ma mémé ; non pas que je l’ai oubliée, oh que non ! Elle me parle
souvent ! Me conseille si je doute ! Me gronde si je déconne !
Et guide ma main, si je cuisine. J’entends dans le lointain une voix qui
regrette que ce ne soit pas plus souvent…
Mais malgré sa présence tutélaire du côté des fourneaux, il y
a un domaine dans lequel la passation du relais a totalement échoué,
inexorablement, c’est celui de la mayonnaise. Ma mayonnaise est plus que
poussive. La mayonnaise de ma mémé tenait du chef d’œuvre, elle accompagnait
imperturbablement le poisson que le respect du « maigre » du vendredi
imposait dans les menus de la semaine. Elle était d’un jaune éclatant, elle
avait une tenue imperturbable et un goût exquis, sans doute lié à ce soupçon
d’ail qui la parfumait. Elle avait demandé de longues minutes de
préparation : une cuillère en bois dans une main, la bouteille d’huile
dans l’autre d’où tombait très régulièrement un très mince filet dans le grand
bol qu’elle avait coincé entre ses jambes, ma mémé touillait, touillait,
touillait jusqu’à la perfection. Il était exclu que la mayonnaise ne prenne
pas, ne monte pas.
De la
mayonnaise à la métaphore
Notre rapport à la mayonnaise a bien changé, la cuisine
industrielle a mis la mayonnaise en pots et en tubes. Elle est devenue
inratable et insipide.
Par contre sur le
terrain social et politique, il en est resté une métaphore pour signifier la
capacité d’un mouvement, d’une action, d’un rassemblement à se développer, à
entraîner les masses (comme on dit). La mayonnaise a pris en 1995 quand il a
fallu combattre le plan Juppé, elle a bien repris en 2000 quand il a fallu chasser
Allègre d’une éducation nationale qu’il persécutait, elle a pris ensuite dans
la bataille des retraites, mais avec moins de réussite, elle a semblé prendre
avec le Front de Gauche dans la bataille des présidentielles, elle vient de
prendre en Grèce. Elle donne en Espagne
des signes très positifs. En France la réaction populaire après les assassinats
de janvier 2015 a montré que le peuple a de la ressource.
Pour des
mayonnaises partout
Mais dans le même temps, face aux temps désespérants que nous
vivons, face à la prolifération des injustices, de la précarité, du chômage, de
la misère, face à l’arrogance du patronat et aux politiques d’austérité
qu’Hollande et sa bande s’obstinent à mettre en œuvre, face à leur obstination
à nous faire croire qu’il n’y a pas d’autres issues que la soumission constante
aux diktats de la finance internationale et à ses incarnations dans les traités
européens (des dogmes intangibles !), nous voudrions que des mayonnaises
montent, partout, porteuses d’espoirs, de progrès, d’alternatives vraies,
sonnantes et trébuchantes. Des mayonnaises imparables. Et nous constatons que
l’art de la mayonnaise est un art difficile, qui n’a rien de mécanique, qu’il
ne saurait se limliter à une recette simple et unique et qu’il est surtout important
de ne rien céder, de ne pas s’arrêter de touiller, de touiller encore, même et
surtout, dans les moments de doute.
La
mayonnaise des peuples debout
A Paris, ça a touillé sec, lors du premier forum européen des
alternatives qui s’est tenu le dernier week-end, pour débattre d’un avenir
démocratique du continent (vous trouverez un compte rendu à l’intérieur de ce
journal). Certes la presse bon-chic-bon-genre-bien-en-cour en a peu parlé, mais
les milliers de citoyens réunis place de la République à Paris pour dessiner
une autre Europe que celle du renoncement ont touillé dans le bon sens. Parce
que pour faire prendre la mayonnaise, il n’y a pas de miracles, mais quelques
conditions indispensables qui ne suffisent pas toujours, mais dont l’absence
signifie un ratage assuré.
D’abord ne pas être seul, ou presque, ne pas avoir peur de se
rassembler, de s’unir, de sortir des sentiers battus, avec la perspective la
plus claire possible, savoir où l’on veut aller, prendre en compte l’intérêt du
plus grand nombre et des plus fragiles, incarner une aspiration commune, porter
un espoir et des valeurs progressistes, veiller à ce que les milliers de
petites mains qui s’accrochent à la cuillère en bois pour touiller se sentent concernées, ici par la construction d’une
EUROPE-DES-PEUPLES-DEBOUT (et plus jamais à genoux). Ma mémé aurait été
contente d’apporter sa petite gousse d’ail à cette mayonnaise-là.
Jean-Marie Philibert.
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