Des anges
Dans les tréfonds de mes souvenirs, il en est un lié à
l’éducation catholique rigoureuse qui me fut donnée dès mon plus jeune âge. La
référence à Marie dans mon prénom me mettait sous la protection de la vierge
et, très tôt, j’ai eu à subir des cours de catéchisme, dès l’école maternelle,
chez les « bonnes » sœurs, où
un prêtre tout vêtu d’une impressionnante soutane noire venait nous parler de
jésus … et de sa bande. J’ai au fond de ma mémoire le souvenir de sa
grosse voix nous expliquant que notre âme était toute blanche et pure tant que
nous ne faisions pas de péché, mais qu’à partir du moment où on faisait des bêtises, où on n’était pas
gentil, où on n’écoutait pas sa maman, son papa, où on oubliait ses prières, elle se criblait
de taches noires qui la métamorphosaient en quelque chose de monstrueux qui
nous éloignait d’un paradis où dieu et ses anges nous attendaient. Et nous rêvions
tous de devenir des anges.
En ce qui me concerne cette vocation angélique n’a pas
dépassé les limites de l’adolescence. Les frasques de ma jeunesse ont eu
raison, je crains de façon irréversible, de la blancheur de mon âme.L’âge
adulte a considérablement teinté en rouge vif les tâches qui la dénaturaient et
m’a éloigné durablement du paradis.
Le paradis
Mais l’actualité de la semaine dernière m’apprend que
l’aspiration au paradis est restée une constante, que le relatif déclin de la
religion catholique, de ses pratiques, de son influence n’a pas éteint ce
besoin de vivre dans ce monde sans entrave où on peut copiner avec les anges
très-très loin des contingences matérielles.
En effet dans ces paradis-là (fiscaux, paraît-il qu’il faut
les appeler), on perd son identité, ses titres, sa position sociale pour être
un numéro, un chiffre, un code. On n’est plus rien. Et on a même des gens très
gentils qui pour trois-francs-six-sous, en cas de besoin vous prêtent leur nom.
Mais on garde tout, et surtout, tout le pognon : la proximité avec les
divinités en tous genres qui peuplent ces lieux magiques fait que très souvent
le pognon fait des enfants, de très nombreux enfants. Ces enfants sont protégés
par la sainteté des lieux et viennent enrichir la famille des opulents. Et le
plus beau des miracles, la superbe réussite de l’entreprise surnaturelle, tient
à l’incognito dont vous êtes parés et qui vous libère à tout jamais des regards
concupiscents du fisc, des états, des envieux, des pauvres.
Le pognon
travaille pour vous
Vous êtes libres et puissants ! Vous n’avez plus à
travailler. Le pognon travaille pour
vous.
Suprême altruisme : il arrive même qu’en travaillant
pour vous il participe à un fonds d’investissement qui va donner un travail
précaire et mal rémunéré à de pauvres hères qui n’auront qu’à remercier la
providence divine et le saint patronat. Mais du sein de votre paradis, vous
veillez à ce que la manne reste toujours aussi inégalement répartie : les
complices que vous avez placés aux commandes sur terre savent que l’austérité,
la pénurie, la souffrance sociale, l’injustice et le corsetage de la démocratie
sont des armes imparables qui incitent à accepter l’inacceptable.
Des happy
few
Là où vous êtes, vous côtoyez ce qui se fait de mieux dans
des genres divers : chefs d’états sans conscience, barons de la drogue,
stars du ballon rond… Vous êtes les happy few d’un monde où il est de plus en
plus difficile d’être happy. Et vous en jouissez sans vergogne. Quand on se
rend compte que vous avez mis la main dans le pot de confiture, vous jouez les
surpris, les timides, les maladroits. Mais je sens bien qu’au fond de
vous-mêmes vous pensez que vous n’avez fait que ce que tout fortuné aurait fait
à votre place : se gaver et surtout ne pas partager et surtout ne pas
payer d’impôts, ces horreurs, ces abominations. Vous croyez dur comme fer à
votre angélisme. La preuve : aucun d’entre vous n’a dit qu’il restituerait
à la collectivité les sommes détournées. Le pardon et la contrition sont à ce
prix. Mais vous ne voulez pas connaître.
Pour résumer : les tâches noires de votre âme ont la
forme, la couleur, l’odeur des dollars et, dans les paradis … fiscaux, les
anges ne sont que des fripouilles.
Jean-Marie Philibert.
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