On lâche rien
Il est difficile quand on a le nez sur les événements de les
saisir dans la plénitude de ce qu’ils sont, de lire les mutations dont ils
peuvent être porteurs, d’y voir la vie en train de se faire, d’y voir le monde
tel que les femmes, les hommes tentent de le façonner. Le plus souvent on
projette sur le cours de choses des considérations toutes faites, ou
pessimistes, si on est phase descendante, ou plus rarement, on peut afficher
son optimisme, si l’on a un trop plein
de magnésium. Avec les mouvements sociaux la tâche est encore plus difficile,
d’autant que l’issue n’est jamais écrite à l’avance, que les commentateurs
peuvent tout dire et son contraire, que les média vous emmènent en bateau, que
les puissants en tous genres veulent que
vous rentriez à la niche le plus rapidement possible, bien sûr bredouilles, et
encore une fois désespérés.
Un « work in
progress »
Les mois de bataille autour de la loi El Khomry peuvent-ils
servir d’illustration à ce besoin de dépasser les apparences du
mouvement ? A l’heure où j’écris,
rien n’est fini, le « work est en progress ». Des signes peuvent s’y
lire, sur les modifications de comportement qui s’y jouent, sur les enjeux
politiques qui n’y sont pas étrangers.
Politiques, c’est sûr ! Parce qu’au TC nous avons le
virus, tout cela est politique, bien sûr, et
sans l’ombre d’un doute.
Les efforts déployés par la bande de zozos qui nous
gouvernent pour nous inciter à ne voir dans ce projet de loi que modernisation,
allègement, réforme salutaire et indispensable, toilettage de lois désuètes ne
pouvaient que nous mettre la puce à l’oreille. La puce est devenue mouvement
social d’une ampleur inégalée depuis 95 (plan juppé) et les années 2000
(retraite, cpe…).
Les formes et le fond
La mayonnaise a pris
et elle monte avec des formes retrouvées et différentes: les manifs qui
font le grand tour de Perpignan, la gare bloquée, le pont Arago désertifié, la
place de la république transformée en AG, des initiatives toujours renouvelées,
des têtes nouvelles dans les défilés, beaucoup de colère et de joie à la fois,
des jeunes, des moins jeunes, avec un même souci d’unité, avec une même volonté
d’être entendu, avec une même obstination à ne rien céder. Les manœuvres du
pouvoir, le recours aux casseurs, aux provocations, les forces de polices
utilisées pour rajouter à la confusion et même parfois aux contusions, les
coups de menton de Valls n’ont rien changé au cours de choses. La bataille
continue.
Parce qu’elle est démocratique ! C’est une très grande
majorité du mouvement social qui rejette la loi Khomry : le renfort
apporté par la CFE-CGC serait là pour le prouver s’il le fallait et les absents
CFDT et Unsa ont toutes les peines du monde à défendre une loi qui détricote
des décennies de droits du travail. Le mouvement est vu de façon très
sympathique dans l’opinion publique et la votation citoyenne, comme la pétition
d’un million de signatures en atteste.
Des mots disparus…
Le besoin de prendre en main son destin, d’en être un acteur
politique, debout, la nuit, le jour, de veiller à être écouté et aussi à
écouter. La volonté de retrouver de la démocratie au cœur de l’action. Le
mouvement social est un organisme vivant en prise directe avec les ambitions de
femmes et de hommes à s’émanciper, se libérer, s’épanouir, en vivant des fruits
de leur travail. Ces mots « émanciper, libérer, épanouir, vivre, fruits,
travail » semblaient avoir disparu des dictionnaires socialiste,
sarkoziste, lepéniste qui ne dessinent l’avenir que dans une vallée de
larmes : la version 2017 devait ressembler aux précédentes. Et puis
patatrac !
…retrouvés
Il revient au syndicalisme unitaire, écarlate, joyeux tel
que l’incarnent les organisations au cœur du mouvement (citons les toutes,
elles le méritent, la CFTC, Solidaires, la FSU, l’UNEF, l’UNL, FO, la CGT)
d’avoir relevé un défi que des années de mobilisation momolle pouvaient laisser
considérer comme aventureux et de dire, répéter, chanter dès maintenant
« on lâche rien – on lâche rien ».
Jean-Marie Philibert
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