La rocardite : la-les-une-deux-trois
gauche(s)
La disparition d'un membre éminent de la deuxième gauche, comme
on le dit dans les tablettes, Michel
Rocard, peut nous conduire, au-delà de la trajectoire politique de celui qui a
animé plusieurs moments importants de notre histoire récente, à nous interroger
sur la multiplication des gauches, sur la prolifération de ceux qui s'en
réclament, sur le sens à donner à leur démarche.
Regardez le paysage actuel, nous avons le chantre de la deuxième
gôche Valls qui se réclame du défunt, et nous avons une nouvelle pousse passée
par la banque Rothschild, un dénommé Macron, qui nous fait comprendre qu'à côté
de la deuxième il serait possible d'en trouver une troisième et peut-être
d’autres encore. Le président, lui, comme si tout allait bien, continue à
croire qu’il n'y en a qu'une, la sienne, alors que dans son propre parti, comme
dans l'opinion publique, beaucoup sont convaincus qu’elle a disparu des écrans
radar, et personne ne sait où elle se trouve et à quoi elle ressemble. Perdue
corps et bien.
Les rendez-vous manqués
Plusieurs signes qui ne trompent pas : le code du travail, qui
symbolisait une politique sociale sensible aux intérêts des travailleurs, passé
à la moulinette de la loi El Khomry, et
l'utilisation frénétique du 49/3 pour étouffer la démocratie parlementaire
contribuent à faire disparaître la gauche du paysage et à rogner les espoirs
qu’elle peut fonder.
Heureusement pour la gauche, elle n'a pas que le PS pour la
servir. Si c'était le cas elle serait depuis quelques lustres dans les
oubliettes de l'histoire.
La disparition de Rocard permet de réactiver une histoire qui
donne avec Manuel Valls l’impression de bégayer et nous offre l‘occasion
d’évoquer le nombre considérable de rendez-vous manqués que les progressistes,
multiples et divers, attachés à des transformations sociales concrètes, ont
espérés en vain.
Unitaire ?
Je fis partie de ceux qui avaient un regard sympathique pour un
mini parti politique aujourd’hui disparu qui incarnait ces transformations
sociales avec d’autres dont le PCF et un nombre importants d’organisations que
l’on qualifierait aujourd’hui d’ultragauche, il portait le nom de PSU, le U
étant une référence implicite à la nécessité de mettre en œuvre une démarche
unitaire. Rocard en était un des dirigeants. C’était un autre temps, dans la
mouvance de mai 68. L’aspiration « révolutionnaire » et unitaire de
l’époque (je mets des guillemets parce que rétrospectivement j’y vois quelques
raisons d’en douter) traversait des couches larges de la société : le
monde salarié, les intellectuels, les syndicalistes (CGT et CFDT ensemble, et
oui !) une jeunesse en recherche d’émancipation, la tutelle du gaullisme
devenue insupportable. Rocard donnait le sentiment d’en être.
A lire les bio, à l’occasion de sa disparition, on se rend
compte que se joue à ce moment-là la prise de pouvoir sur toute la gauche
non-communiste, avec une constante : tenter de phagocyter les cocos, au
mieux de les utiliser en leur laissant quelques strapontins. La référence à
l’unité servait à ça. Rocard et Mitterrand jouant chacun une partition
différente mais avec un même objectif. La palme de la tartufferie étant à
mettre à l’ordre de Mitterrand,
Deux cultures
Rocard s’est gargarisé de mots pour brouiller les pistes, en
multipliant les gauches : « deux cultures » structureraient la
gauche, la présentable, l’acceptable et l’autre, celle qui manque de réalisme,
de rigueur, de crédibilité. Vous avez compris de qui il s’agit et c’est une
constante rocardienne que d’avoir une allergie pour le drapeau rouge, et de
préférer faire entrer dans son gouvernement en 1988 des personnalités
d’ouverture (traduire de droite). Au cours de son mandat il va se montrer le
champion absolu de l’utilisation du 49/3 et ainsi faire la preuve comme son
poulain Manuel de son attachement fragile à la démocratie.
Cela ne le gênera pas pour poursuivre son ambition sur la piste
d’un pouvoir qui lui échappera, son rêve de devenir président de la
république restera en l’état de rêve. Il
lui restera les mots pour nous expliquer que le monde est au moins aussi
compliqué que la gauche (et que ses discours) et qu’il ne faut pas la laisser
entre toutes les mains. Parait-il qu’il faut y voir les signes d’un esprit
supérieur ?
Il a fait des émules, des qui se prennent pour des cadors.
Ils pratiquent tous le brouillage des
pistes qui passent par la multiplication des gauches : observer le Macron
de service, mais il n’est pas seul. …Une gauche, deux gauches, trois gauches…
Une gauche pour chacun à son service. Une gauche éclatée et des hommes
providentiels partout: y aura-t-il quelque chose à sauver ? Il n’est pas
réjouissant que Mélenchon y succombe. Le rocardite aiguë l’aurait-elle
atteint ?
Ce n’est pas tout à fait l’idée que se font de la gauche tous
ceux qui savent qu’elle ne peut véritablement jouer son rôle transformateur que
plurielle, diverse et en même temps unie, rassemblée. Cette bataille, c’est la
nôtre.
Jean-Marie Philibert
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire