Pépé, les
costards et la république
Toute mon enfance a été bercée par un débat récurrent qui
animait les repas ou les soirées familiales et qui était très étroitement lié
aux activités professionnelles de mon pépé. (Eh ! Oui ! J’ai eu aussi
un formidable pépé, digne de ma mémé). Il était tailleur dans une grande
enseigne perpignanaise, il adorait son métier, le faisait avec beaucoup de goût
et de passion : il était sapé comme un ministre (intègre) et il aurait
voulu que tout le monde le fût (sapé et intègre). Mais malheureusement pour lui
les années 50 ont vu le prêt-à-porter
(on disait aussi la confection) remplacer le sur-mesure : la qualité des
costumes s’en est ressentie. Les tailleurs sont partis à la retraite, pleins de
rancœur pour un métier qui les avait trahis et qui n’habillait pas les hommes
avec toute la classe, tout le chic, tout le soin que les artisans-tailleurs y
mettaient.
Sapé, mais
intègre ?
C’est sans doute pour renouer avec une tradition qui, selon
lui, devait avoir du bon, que Fillon a gardé le goût des beaux costumes, et
que, plus d’un demi-siècle plus tard, il continue à se faire tailler des
costards très haut de gamme dans de grandes maisons parisiennes. Il se les fait
payer par un « ami » à un prix si exorbitant que mon pépé s’est retourné dans sa tombe. Fillon, sapé,
certes, mais intègre, pas sûr !
Tout ce que mon pépé aurait pu payer à sa famille adorée s’il
avait eu de tels clients ! Mais ses clients à lui travaillaient
normalement pour des salaires sans doute convenables, mais sans plus. Ils
appartenaient à une société provinciale, soucieuse de ses valeurs, de son
paraître et de son être.
L’intégrité,
zob !
Aux antipodes de la
bande de prévaricateurs cupides qu’une finance triomphante essaie de propulser
aujourd’hui dans les plus hautes charges de l’état pour en perturber les
valeurs républicaines et fondatrices. Et je te vends ma conscience et tu
m’achètes des costumes. C’est cadeau ! Et je fais « travailler »
ma femme, ma fille, mon fils. Et j’encaisse. Cadeau ! L’intégrité, zob !
Et pour d’autres (du même acabit) je pompe dans la caisse du
Parlement européen pour engraisser mes affidés. Cadeau ! Je m’assieds sur
les règles des finances publiques pour faire ce qui m’arrange. Les lois ne me
concernent pas. Vous avez reconnu l’aboyeuse d’extrême droite.
L’intégrité ! Re-zob !
Pépé, le monde a bien changé
Quant au jeune homme, BCBG, que tous les medias adorent, lui aussi, il aurait un peu pioché dans les
finances du ministère pour se faire un nom. Re-cadeau ?
Dé-moralisation
Heureusement, paraît-il, nous avons une loi de moralisation
de la vie politique, depuis Cahuzac. Mais avec le spectacle en cours, nous
sommes plus près de la dé-moralisation
profonde et durable des citoyens.
Mais ne s’agit-il que d’argent ? Ne s’agit-il que de
tremper sans vergogne ses doigts dans tous les pots de confiture qui se
présentent ? Ce qui aurait déjà, révolté mon pépé ! D’autant plus que
la confiture fait cruellement défaut au plus grand nombre auquel on impose une
austérité de plus en plus féroce, des sacrifices de plus en plus grands comme
une fatalité inexorable.
Je crois cependant que le plus insupportable en la matière
est dans l’attitude de ceux qui refusent de voir que leurs actes sont non
seulement délictueux, mais une négation de l’humaine condition citoyenne,
fondatrice de la république, dans la
mesure où le déni et le cynisme dans lesquels
ils s’enferment signifient qu’ils refusent que leur comportement soit examiné
et jugé pour ce qu’il est, dans la mesure où la loi commune n’a pas de sens
pour eux et qu’ils s’abritent derrière un suffrage universel susceptible de les
conforter et de les absoudre. Ils le dénaturent, en ferment d’autocratie, en
s’en servant ainsi.
Ils bafouent la démocratie.
In-to-lé-ra-ble !
Pépé, va, au Panthéon des hommes intègres et lucides,
réveiller Montesquieu pour qu’il rappelle à tous qu’il ne peut y avoir de
république véritable que dans le respect des lois et dans une scrupuleuse séparation des pouvoirs.
Jean-Marie Philibert
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