Ecoute-moi
bien !
Qu’il soit grand ou petit, le débat suppose, je dirais même,
impose un échange. Dis-moi ce que tu penses… Exprime ton point de vue… En toute
franchise… Je te dirai ce que je pense de mon côté… On pourra argumenter,
contre-argumenter, s’opposer, se convaincre, s’énerver, se trouver des points
communs, mesurer nos divergences, se faire la gueule ou s’apprécier. Le débat
peut enrichir nos relations d’une dimension personnelle indéniable où on ne se
sent pas obligé d’acquiescer à une opinion qui ne nous plaît pas, où on peut
être soi-même, mesurer la responsabilité de dire ce que l’on pense et être
accepté pour ce que l’on est.
Dans la
vraie vie
Il peut toucher tous les domaines, de la philosophie et de la
morale à l’actualité sportive, de la politique à la gastronomie, des arts à la
médecine, du réchauffement climatique au
projet de rénovation du quartier Saint Jacques… Il revêt toutes les formes
possibles, il peut être violent, policé, caricatural, comme la télé sait les
proposer pour faire spectacle. Il peut révéler des caractères séduisants comme
il peut dézinguer des mastuvus prétentieux. Il est rarement anodin. Il nous
intéresse très souvent.
Sans doute parce que sachant que la vérité est souvent
fragile, cachée, compliquée, dialectique aurait dit Karl, nous ne nous
satisfaisons qu’à moitié des certitudes sommaires que nous véhiculons. Par le
débat nous pourrons avoir le sentiment de franchir un palier supérieur si nous
rencontrons des accointances. Nous saurons que la vérité est l’objet d’une
recherche inlassable, rarement gravée dans le marbre, et que le doute n’est pas
un crime.
En politique, il est la pierre angulaire de la démocratie, le
creuset où se construisent les majorités, la seule voie possible vers la prise
de décision collective. Nous nous inscrivons dans cette tradition inhérente à
toute république qui se respecte. Tout ça, c’est dans la vraie vie !
En
Macronie, c’est un peu différent
Quand englué dans la colère des gilets jaunes, Macron ouvre
un large débat, on suspecte, certes, un subterfuge pour se sortir d’une crise
profonde, mais on se dit que demander aux citoyens de donner leurs opinions,
c’est un peu mieux que d’envoyer des robots-cops leur taper dessus, que la vox
populi dans sa toute-puissance saura se frayer un chemin.
Les opinions s’expriment, disons plutôt, qu’elles répètent ce
qu’elles ne cessaient d’exprimer depuis le début du mouvement, inlassablement,
sur la misère sociale, sur les fins de mois difficiles, sur la précarité
insoutenable, sur la démocratie malade, sur les inégalités sociales, sur
l’impérieuse nécessité de réponses rapides, tangibles, sur l’obligation pour un
pouvoir quelconque d’écouter son peuple.
Le mot qui
tue
Ecouter ! Le mot qui tue ! Pourtant sans écoute, il
n’y aura ni débat, ni rencontre, ni confrontation, ni avancée. L’absence
d’écoute est mortifère pour la vie sociale, politique, mais pas seulement, pour
la vie tout court. Macron, dans sa verticalité jupitérienne, dans sa
vertigineuse sottise, a décidé que son débat ne dirait que ce qu’il a envie
d’entendre, que la vox populi, c’est lui et personne d’autre, que cause
toujours tu m’intéresses… La caricature vivante de cette démarche fut donnée
lors de la rencontre à l’Elysée avec une bande d’intellectuels patentés…et sans doute naïfs. Ils ne sont pas
là pour donner leurs avis, exposer leurs points de vue, leurs visions de la
société, du monde… Ils sont là pour poser promptement, succinctement quelques
questions, pour se montrer à la téloche, pour servir la soupe à Jupiter
qui se réserve tout le temps de parole, pour répéter ce qu’il dit depuis le
début, qu’il ne changera rien, qu’il continuera à lécher les bottes des riches,
qu’il est là pour « réformer », c’est-à-dire casser, la fonction
publique, les retraites, l’école, l’assurance chômage, la constitution, la vie
politique. Et qu’il n’est surtout pas là pour écouter… quiconque a une opinion,
puisque l’opinion, c’est lui.
Avec le grand débat, la cinquième république dévoile un peu
plus ce que nous pressentions déjà, qu’elle n’a plus de république que le nom,
qu’elle est la forme actualisée d’un absolutisme qui refuse d’écouter.
Et pourtant n’est-ce pas ce que l’on apprend aux enfants dès
leur plus jeune âge.
Ecoute-moi bien…Emmanuel… Tu dérailles… Ecoute-moi
bien !
Jean-Marie Philibert.