Des vœux…
qui guérissent
de jean marie philibert, poète et infectiologue
On pourra dire dans un moment plus ou moins lointain le sens
de ce que nous vivons : l’intelligence des femmes/hommes est telle qu’elle
parvient le plus souvent à donner du sens à ce qui en semble dépourvu. Il ne
faut que s’en réjouir bien sûr ! Mais pour le moment nous n’en sommes pas
là… et ça patine dans la choucroute. Que les alsaciens m’excusent pour un
cliché aussi bas de gamme.
Ça patine à tous les étages : ne revenons pas sur ces
différentes figures du patinage. Constatons que ça patine un peu partout, que
les leçons à tirer doivent incliner à la plus grande prudence, qu’il faut
laisser les complotistes-matamores-je-sais-tout-j’ai-peur-de-rien à leurs
élucubrations. Protégeons-nous le temps qu’il faut ! Et tentons
modestement d’y voir un peu clair.
La guerre
Le trouble est profond, comme la rupture fut soudaine. Le
mois de mars 2020 nous a fait basculer dans un monde que nous ne connaissions
pas. Un monde vide, des rues vides, une menace réelle, omniprésente, la mort
aux trousses des plus fragiles, des protections élémentaires absentes, un
pouvoir qui cachait son incurie sous de grands mots… La guerre… Nos ancêtres
avaient connu 14/18, nos parents-et grands-parents 39/45, l’ Algérie. Nous ce
sera le Corona. Et pour former/déformer les esprits, le comptage méticuleux des
victimes tous les soirs à la télé.
La langue
nouvelle
Avec les mots nouveaux d’une langue nouvelle : le
télé-travail, par exemple, le distanciel pour être ensemble sans être ensemble,
le présentiel quand on ne pouvait pas faire autrement, les gestes-barrières,
les contaminés asymptomatiques, le mètre règlementaire pour séparer tous les êtres vivants, le
confinement et le déconfinement, le kilomètre dans lequel il faut s’enfermer
pour tourner en rond, , l’autorisation de sortie à se délivrer à soi-même pour
se donner le droit d’aller prendre l’air, mais une heure seulement...Toute
manifestation prohibée, interdite, comme dans les dictatures… Le couvre-feu en
temps de paix. Pas de bisous, ni de serrements de mains. Et les punitions pour
tous les récalcitrants. Nous pourrons dire à nos descendants que nous avons
fait des expériences inoubliables.
Les
horreurs et les grands esprits
Avec quelques horreurs et quelques indignités dont celles,
barbares, de ne pas avoir le droit d’accompagner nos morts dans leur dernier
voyage, après les avoir enfermés vivants, à double tour dans les EHPAD.
Rétrospectivement on se dira un jour que notre humanité avait pris un coup sur
la casaque… que le rationnel avait connu des ratés.
Même quelques grands( ?) esprits s’étaient mis à
élucubrer des hypothèses
croquignolesques et avaient réinventé un grand satan manipulateur de tout ce
cirque.
Et les gens
de progrès et le jour d’après…
D’où chez les plus engagés, le souci de dresser quelques
perspectives, parce qu’on est conscient que ça ne doit ni durer, ni
recommencer. Les gens de progrès, il y en a plus qu’on ne le pense, et ils sont
un ferment social indispensable, organisé ou moins organisé, se sont projetés dans un jour d’après où les tares
d’un système social foncièrement inégalitaire, où l’exploitation du plus grand
nombre par quelques privilégiés, où le saccage sans retenue de la planète ne
seraient plus des données incontournaples.
Cette résistance est la nôtre : elle n’a dit que ses
premiers mots.
La mise en œuvre d’un vaccin (et ce qu’elle révèle des
avancées de la médecine) fait partie de ces signes positifs, comme la
persistance du civisme lucide, mais pas aveugle, qui a été et reste le nôtre,
comme toutes les formes de solidarité que la crise a multipliées, comme la
volonté plus que durable de lutter pour une société juste et libre.
Que 2021 nous fasse tous avancer dans cette longue marche.
Dont pour fêter la nouvelle année et troubler la morosité ambiante, je
vous offre le récit épique (bien sûr).
Le lent récit d’une marche sans fin
Une longue marche donc
Une haute marche donc
Une forte marche donc
Une marche obstinée, récalcitrante,
mal éduquée
Mais sympathique
Avec les armes de la générosité en
bandoulière et de la chaude et rouge camaraderie dans les veines
Le sourire aux lèvres
La colère dans la gorge
La détermination dans les yeux
Pour dire à l’espace, au temps et
aux puissants
Qu’ils ne sont que ce que nous
voulons bien qu’ils soient
Que le monde est notre travail
notre sueur notre ambition notre rêve
Non seulement il le restera mais on
va tant et tant marcher
Têtus courbés pleins de hargne
Qu’il le deviendra un peu plus et
un peu plus et un peu plus
Même si nos chaussures s’usent
Nos muscles mollissent
Notre ambition est tintacte
inaltérable bouillonnante
Comme le sang qui nous nourrit
Comme les désirs qui nous font tous
les jours inventer
La vie et les mots pour la dire et
les rires pour la sublimer et les couleurs pour la chanter
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