Le paradoxe
de Bébel…
Tant que notre capacité à produire des images a été limitée,
nous (enfin ce sont nos grands ancêtres) n’avons eu de cesse pour les partager,
pour les faire durer, pour nous en servir et influencer les consciences de les
inscrire dans la pierre de nos églises, sur les murs de nos lieux sacrés, sur
les enluminures de nos livres précieux. Nous avons ainsi fabriqué nos icônes et
le monde judéo-chrétien a excellé dans cette démarche, il nous a bien pourvu en
images pieuses que nous avons fait perdurer jusqu’à ce que, grâce à des
avancées scientifiques et techniques exponentielles nous soyons en mesure de
multiplier sans fin nos capacités à transformer notre univers en monde d’images (pieuses et moins pieuses)
qui prennent quasiment toute la place du réel. Elles donnent peut-être
désormais l’impression que nous ne sommes plus que les spectateurs de
nous-mêmes, que les images sont la vie, que le cinéma la résume à merveille et
que les acteurs que nous y voyons ne sont que des autres nous-mêmes, et donc
aussi des êtres chers que nous pleurons quand nous les perdons. Ainsi nous
pleurons Bébel. Icône parmi les icônes. Le surnaturel est devenu le réel. Le
réel, le surnaturel.
Le copain
Bébel, ce n’est pourtant pas un dieu de l’Olympe, Bebel,
c’est un copain que nous perdons, un vieux copain qui n’en a pas raté une pour
nous agrémenter la vie. Pour nous faire rêver à ce que nous n’avions pas, aux
succès qui nous échappaient, aux pouvoirs qui ne sont pas les nôtres, aux
cabrioles que nous n’osons pas faire, aux déconnantes qui pourraient nous faire
tant de bien ;
« JE SUIS MORT. ET VOUS ME REGRETTEREZ, PARCE QUE
C’ETAIT MARRANT », une citation du « Marginal » retrouvée et mis
en exergue par Libé. Cela résume le personnage et explique la pluie d’étoiles
filantes traversant nos souvenirs que les titres de ses films suggèrent. Des
titres qui parlent et parleront. « A Bout de souffle, Le Magnifique, L’as des as, le Marginal, Pierrot le
Fou ». Des films populaires, exigeants, surprenants parfois, « Leon
Morin prêtre, le Voleur, Stavisky… » et tant d’autres. Le compagnonnage
avec les plus grands réalisateurs. Des films qui marchent et d’autres qui
marchent moins.
Rebondir
Mais toujours, la
volonté de rebondir, en retrouvant par exemple le théâtre, son premier amour,
le seul métier digne aux yeux de ses parents tant aimés. Une bataille pour la
vie qui n’en finit pas et qui l’aide à affronter les difficultés d’un destin
qui échappe et qu’il retient avec toutes ses énergies. Une icône éminemment
sympathique, venue d’un monde cinématographique et médiatique qui ne l’est pas
toujours, une image positive qui justifie notre peine. Une image vraie…
Parce qu’elle est vraie, elle a réveillé la peine des
habitants de Villerville, une plage normande,où il avait tourné avec Gabin Un singe en hiver, il y a
des lustres et qui sont allés écrire sur le sable de la plage « Bebel nous
te t’oublierons pas ».
Sur les
tréteaux de la vie
Celle des amoureux du théâtre qui retiennent son échec au
Conservatoire, transcendé en succès (mérité) par une bande de copains à jamais
fidèles qui le portent en triomphe sur scène,
pour secouer le jury, comme si sur scène tout devient possible. Comme si
la vraie vie, la vérité des êtres, la puissance du talent étaient d’abord sur
les tréteaux.
Mais pour Bébel, les tréteaux et la vraie vie ont participé
du même destin paradoxal qui a fondé son succès.
N’oublions pas de rappeler qu’il fut un temps président du
syndicat CGT des acteurs français de 63 à 66. Ils sont très nombreux les
commentateurs officiels, allergiques à la vraie vie et au syndicalisme, à
l’avoir oublié. Il y a pris la succession, excusez du peu, de Gérard Philippe.
Le syndicalisme l’avait mis sur de bons rails.
Le paradoxe de Bébel ferait donc se rejoindre le surnaturel
et le réel dont on parlait au début, en d’autres termes, l’art et la vie, à
faire de nous L’as des as que nous ne serons jamais, à nous raconter une
bébelle vie d’images que nous prenons un peu comme la nôtre, pour notre
plaisir.
Jean-Marie Philibert
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