Humeur ? Humour ?
Même si elle reste active, même si elle reste engagée dans
la lignée de ce qu’a été la vie professionnelle, la retraite est aussi le temps
du retour sur soi, de l’examen du
passé ; c’est donc un peu l’heure des bilans. On mesure mieux avec le
recul ce qu’on a réussi, ce qu’on a loupé, ce qu’on aurait pu faire et que l’on
n’a pas fait, ce que l’on a fait et que l’on aurait pas dû faire. J’en étais à
ce stade de mes cogitations personnelles et je me disais que des décennies d’enseignement à des ados attachants, mais parfois un peu
pénibles, des heures et des heures
d’activités militantes pour défendre un service public que des pouvoirs
successifs voulaient mettre à mal, des kilomètres parcourus en manifestations
multiples et variées, plus ou moins nombreuses et plus ou moins réussies, sans
parler des enfants casés et heureux, pouvaient certes faire un bilan
globalement positif, comme on disait au Parti du temps de Marchais, mais que ce
n’était pas le Pérou, mais qu’il y avait certainement des destins plus
jouissifs, plus épanouissants, que celui
d’enseignants, de syndicalistes ( de gauche bien sûr !). Et je me prenais
à rêver… et à refaire ma vie.
Plein les
fouilles.
Refaire ma vie, sur l’autre rive, par exemple, à droite
pourquoi pas, de façon à pouvoir vivre un peu plus égoïstement, à pouvoir
cultiver mon jardin plutôt que les espaces et les services publics, à pouvoir, sans gêne aucune, afficher un cynisme de bon aloi. Cela m’aurait
peut-être permis de m’en mettre plein les fouilles. Ma retraite n’en serait que
plus aisée. Mais plus que l’orientation politique ainsi rêvée, c’est
l’occupation choisie qui me semble déterminante pour avoir le sentiment plein
et entier de la réussite. Et là accrochez vos ceintures, vous n’allez pas en
croire vos yeux et vos oreilles, mais mon rêve le plus secret est, aurait été,
celui d’avoir un destin de rocker, de rocker de droite, bien sûr ; pas
seulement le destin, mais le complet, le costume, les santiags, la veste avec
les franges, le poil hirsute, les yeux éclatés, la banane sur le crâne, les jeans « pat’
déph ». Le talent d’un rocker de droite qui vocifère dans le micro, qui
déblatère tout ce qu’il a sur le cœur, qui, sans complexe, pense faire de la poésie avec la cacahouète
qu’il a dans la tête. Et le succès public bien
sûr, le culte voué à une idole, les groupies toujours à mes basques. Et
des tunes, des tunes, des tunes, comme s’il en pleuvait. La vraie vie
quoi ! Et puis, l’âge venant, aller
vivre en Belgique ou en Suisse… pour payer moins d’impôts.
Le grand écart.
J’imagine même que comme enfant du pays, malgré mes choix
politiques, les organisateurs de la fête
du TC m’inviteraient pour animer les festivités : à cause du plaisir de
retrouver des potes anciens et l’air de la Méditerranée, je leur ferai même un
prix. Et à cette occasion, je me vois faisant le grand écart entre ce que je
rêve d’être et ce que je suis, puisque mon double fantasmé serait sur
l’estrade, et moi avec le public, bien
sûr ; je pourrais mesurer le fossé
entre ma vie réelle et ma vie rêvée, entre le pantin, désincarné, qui se prend pour le centre du monde parce
qu’il a une guitare et le peuple rassemblé dont je suis, dont je partage les
aspirations, et avec lequel j’échange semaine après semaine mes humeurs-humours
et mes interrogations.
Et là je me dis qu’il est totalement illusoire de vouloir
changer de rive, qu’il est absurde de se prendre pour ce que l’on n’est pas,
que les valeurs de justice, de progrès social, de démocratie, d’émancipation,
de liberté, de solidarité ont besoin de nous. Que le seul horizon qui mérite
notre attention, c’est le monde réel, à comprendre, à humaniser, à transformer.
Ensemble ! (Mais en gardant notre capacité d’humour).
Jean-Marie Philibert
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