(Parenthèses)
La ponctuation a des ressources insoupçonnées et du sens,
ainsi des parenthèses et des guillemets. Ce sont dans notre langue les deux
seuls signes de ponctuation qui sont à double détente : ils s’ouvrent et
se ferment. Dans le cas des guillemets, c’est normal, on ne peut pas parler
sans fin, tout discours même le plus long et le plus pénible a un début et une
fin qui peut être parfois perçue comme libératrice. Dans le cas des
parenthèses, la logique n’est plus la même. Il y a un changement de registre, de perspective, de
regard, un moment de respiration, une remarque de moindre importance, un
complément d’information, quelque chose
qui n’est pas tout à fait dans la norme attendue que l’on tente d’inclure dans le discours sans y
mettre fin.
Respirer
enfin !
C’est un peu la même chose dans la vie, après des mois de
travail ou de chômage, après des périodes tristounettes, après la monotonie du
quotidien, dont on sait qu’ils vont continuer, on s’accorde comme une
parenthèse pour respirer, pour penser à autre chose. Le temps social est scandé
par ces périodes et la période de Noël en fait partie pour les croyants, comme
pour les incroyants. Le goût de la fête et des plaisirs a le pouvoir de
dépasser l’esprit de chapelle est c’est tant mieux. Mais les parenthèses se
referment toujours et il faut revenir aux choses sérieuses. C’est fini. N.I.N.I. On reprend le boulot, les
emmerdes, le pôle-emploi, l’école, le train-train du quotidien, avec les poches
un peu vides, ou complètement vidées. Les parenthèses n’arrêtent pas le temps.
On peut garder un œil sceptique devant ces périodes de
festivités normalisées, rituelles et consensuelles ( ?): elles
existent, elles nourrissent l’imaginaire des enfants, elles rassemblent. Elles
sont utiles, dans un monde qui oppose, qui divise, qui rend les plus fragiles
tous les jours un peu plus fragiles, qui ne sait plus quoi inventer pour nous
rogner chaque jour un peu plus les ailes, dans une société qui trouve tous les
prétextes possibles pour remettre en cause les avancées sociales chèrement
conquises et qui parfois nous promet des
reculades pires encore. La parenthèse en
se fermant nous confronte au monde tel qu’il est et à ses acteurs pas toujours
drôles.
Sourire.
Encore que l’observation attentive des faits et gestes,
pendant cette parenthèse, de notre président normal et de son gouvernement
moumou puisse inciter à sourire quelque peu. Il fallait montrer que l’on reste
au turbin, que le pédalo continue à être piloté de main ferme au milieu de la
tempête, alors à l’Elysée on a fait dans la sobriété, on n’est pas parti pour
des vacances somptuaires sur des yachts de luxe appartenant à de riches
copains. Le premier ministre s’est autorisé une escapade dans les Pyrénées
catalanes, en toute discrétion, et même le peloton de gendarmerie qui
l’accompagnait avait la consigne de rester discret et de laisser l’uniforme au
vestiaire pour avoir l’air d’un vacancier moyen. Comme s’ils sacrifiaient leurs
parenthèses. Comédie du pouvoir pour les
uns et aggravation continue de la situation pour les autres : n’y a-t-il
pas d’autres perspectives à proposer ?
Par exemple, tenir les promesses faites ; par exemple
ne pas laisser les salariés désarmés devant les décisions des patrons ;
par exemple renforcer le droit du travail ; par exemple investir dans les
services publics de façon à les rendre mieux à même de remplir leurs missions
de formation, de santé, de protection…
Par exemple en finir avec la misère qui gangrène nos villes et nos
banlieues. Par exemple donner un toit à tous ceux qui n’en ont pas !
Ouvrons une parenthèse sur le toit : le maire de
Perpignan vient de décider de chasser de l’école Jeanne Hachette les familles
de sans papiers qui l’occupent, la lutte se poursuit et s’organise. Fermez la
parenthèse. Plus de toit !
C’est un signe de plus que pour ouvrir de nouvelles
parenthèses de progrès, pour construire un avenir qui ressemble à l’avenir et
pas à un champ de ruines, nous ne pouvons compter que sur notre maîtrise de la
ponctuation et sur notre volonté indéfectible de nous battre pour un monde
meilleur. Ouvrons grand les parenthèses !
Jean-Marie PHILIBERT.
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