L’apanage de tous.
Dans
ces temps difficiles pour le plus grand nombre où la courbe du chômage ne cesse
de monter, où la précarité
explose, où l'inquiétude est générale, où croire en l'avenir est devenu un luxe réservé
à un petit
nombre, il est un domaine qui se porte bien, merci ! Les zéros s'y alignent à n'en plus finir, le champagne y coule à
flots, et les
petits fours y font les délices des parvenus qui ont
intégré le cercle très étroit des initiés. C'est celui de l'art
contemporain, comme si l'art ne participait pas de notre monde, comme s'il
n'existait que pour pousser à leur paroxysme la séparation infranchissable
entre les privilégiés et tous les autres.
Une réussite anachronique.
L’actualité la
plus récente ne cesse d’évoquer sa réussite
dans ce monde où plus rien ne réussit :
priorité aux grands ancêtres, le musée Picasso rouvre ses portes
après de très sérieuses améliorations. De grandes
expositions occupent les cimaises de grands musées de Paris, entre autres, Marcel Duchamp à Beaubourg, Niki
de Saint-Phalle, et d'autres, qui drainent des foules. Une soif de culture
cherche à s’étancher malgré la
crise. Les patrons si chiches par ailleurs, surtout ceux qui font dans le luxe
et le très haut de gamme n’hésitent pas à investir dans l’art
contemporain : un nouveau lieu
d'exposition ouvre en plein bois de Boulogne, construit par une des grandes
fortunes de l'hexagone et au-delà, Bernard Arnaud, œuvre de Frank Gehry. Merci patron !
L’odeur du scandale.
Enfin
grand rendez-vous de tous les aficionados en la matière, la foire internationale
d'art contemporain ( la FIAC) se tient au Grand Palais et provoque
le scandale en
demandant à l'artiste américain Paul McCarthy d'ériger sur la place Vendôme (lieu symbolique du pognon à
profusion) une
sculpture gonflable titrée «tree», un objet qui tient plus du
sex-toy que de l'arbre de noël au grand dam des âmes effarouchées des réactionnaires en tous genres
qui crient au scandale. Les partisans de la manif pour tous sont allergiques à l’art contemporain comme à la zigounette désacralisée.
Paradoxe,
contradiction, incompréhension, provocation
gratuite (?), anachronisme, permanente tromperie de l'art et des artistes,
pouvoir corrupteur de l'argent, étouffement consécutif à
la toute-puissance
de la communication de masse, perte de sens généralisée de toute dimension esthétique dans un monde en
bouleversement.
Tout
fout le camp ! Pourquoi pas l'art ?
Et pourtant…
Ne
pourrait-on pas parler aussi d'explosion des formes et des sens, d’ouverture tous azimuts sur toutes les réalités, de recherche toujours
possible de son universalité ? De rencontre désirée,
mais difficile, entre le peuple et la
création ?
Le
problème est complexe. Il y est question d’argent. Il coule abondamment dans ce monde-là alors qu'il fait cruellement défaut ailleurs, et semble
occuper tout l’espace jusqu’à en oublier les dimensions formelles, sociales et
philosophiques de l’art d’aujourd’hui.
Dépasser le clivage.
Les
formes d'abord : il y eut des temps où
elles étaient a priori prédéfinies et identifiables, il
fallait s'insérer dans des parcours, sinon connus de tous, au
moins facilement repérables, cet alphabet a
aujourd'hui (presque) totalement disparu pour ouvrir les portes à
tous les
possibles et même parfois les impossibles, avec, à
l'arrivée, l'œuvre d'art qui ressemblera à
tout, sauf à
une œuvre d'art. D’où le sentiment de notre
exclusion face à ce qui n'est pas, plus, ou pas encore, de
notre univers et que nous ne parvenons pas à intégrer à
ce que nous
connaissons déjà. D'où
les deux
mondes, celui des connaisseurs et celui des béotiens. Un clivage social ?
Les réalités sont souvent plus
complexes : la bourgeoisie n'est pas
obligatoirement plus ouverte à la nouveauté, à sa liberté, à
son invention.
De nombreux esprits éclairés savent que la répétition engendre
la sclérose. Les grandes initiatives,
même les plus novatrices, sont souvent de grands succès populaires, en dépit de formations artistiques
bien insuffisantes. L'art et le peuple sont réconciliables si l'on veut
s'en donner les moyens, il y a là
des potentialités de progrès sociaux. Je crois fondamentalement que le plaisir
esthétique est une richesse, à largement partager. Il touche à
l'intime et il
est constitutif de la construction de la personnalité, comme de l'enrichissement
des sentiments collectifs, même s'il préserve toujours une part de
mystère, et c'est tant mieux.
Il y a
dans la démarche esthétique, aujourd’hui,
comme hier d’ailleurs, de l’innommable et de l’indicible, qui renvoie à notre quête
d’un humain créateur et créatif
toujours plus riche : il est essentiel que ce
soit l’apanage de tous. Le message
de Picasso et de tous les autres n’aura
pas alors été vain. Revisitons-les sans retenue, ni préjugés !
Jean-Marie
Philibert.
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