Dissipons
le brouillard
Les débats qui entourent la commémoration de la victoire du 8
mai 1945 ne sont pas clos : c’est le moins que l’on puisse dire. Et chaque
commémoration amène son lot de polémiques multiples et avariées sur le rôle des
différents acteurs, sur leurs mérites respectifs, sur le rôle de l’armée rouge, sur celui des
Américains, des Britanniques, des Français, de De Gaulle, de la Résistance, sur
les lâchetés, les turpitudes, les trahisons qui n’ont pas manqué pendant les
années de guerre. J’ai comme le sentiment que personne n’a envie ( ?), ni
intérêt (?) à sortir ces années du brouillard qui semble s’opacifier avec le
temps. Au point que l’on pourrait avoir le sentiment que le peuple français a
perdu la mémoire.
A Beziers
le brouillard n’est pas dissipé
Car comment comprendre les suffrages apportés par des
millions d’électeurs au Front National (même dédiabolisé), au racisme dont il
se nourrit, au pétainisme dont il est une résurgence, au fascisme dont il
aimerait oser reprendre le flambeau, mais il n’ose pas tout à fait, à
l’obscurantisme intégral dont il est le pourvoyeur, sans une très grave
atteinte à l’intégrité de notre mémoire. Nous avons connu l’horreur, nous l’avons
oubliée, nous en redemandons.
Ce ne sont pas les cavalcades organisées, à Canet ou à
Saint-Cyprien, à grands renforts de véhicules américains, le 8 mai, qui vont
permettre des progrès fulgurants de notre mémoire : peut-être
accréditeront-elles l’idée que le salut n’est venu que de l’ouest et que nous
devons tout et le reste à l’oncle Sam.
Gommons les
aspérités de l’histoire.
Ce ne sont pas les projets de réforme des programmes des
collèges à laquelle travaille la ministre Vallaud-Belkacem qui vont renforcer
l’enseignement de l’histoire : toujours plus de flou artistique,
d’interdisciplinarité bouche-trou, d’horaires réduits. Alors que les
collégiens, les lycéens portent un intérêt constant à cette période et ne
rechignent jamais à faire les efforts nécessaires pour en comprendre la
complexité et les enjeux. Mais il faut gommer les aspérités de l’histoire,
surtout si elles avaient « le malheur » de donner aux jeunes une
certaine idée de la nation, de son indépendance, de la liberté à préserver pour
bâtir une vraie démocratie au service des peuples (pas l’usine à gaz de la
construction européenne).
Ce ne sont pas les media qui feront progresser les
consciences, même si quelques bonnes émissions nous rappellent à propos la
réalité de ces temps difficiles, mais le plus souvent le pittoresque et
l’émotion prennent le pas sur la compréhension. La nature du nazisme, du
fascisme, le principe d’une supériorité absolue d’une minorité d’hommes sur des
bases raciales et de l’incontournable asservissement de tous les autres, le
refus de toute humanité partagée, le pouvoir barbare et sauvage qui s’arroge
tous les droits et enfin la collusion avec le pouvoir de l’argent, avec le
patronat et la grande bourgeoisie qui, avec un tel allié, peuvent se permettre
ce dont ils ne cessent de rêver : l’exploitation sans vergogne de toutes
les forces de travail.
Que
d’atermoiements !
C’est encore plus vrai quand on tente d’examiner les luttes
qui ont permis l’issue victorieuse du 8 mai 45 : ne parlons pas de la
promptitude (momolle) des grands pays à venir au secours des Français et des
Anglais, évoquons pour mémoire les rivalités pour imposer un leadership aux
pays libres, taisons les prétentions à prendre la main sur des empires coloniaux encore conséquents.
Mais observons attentivement les atermoiements à organiser le combat des
peuples, les petites (et les grandes) complaisances avec l’occupant, l’excuse
d’une collaboration largement répandue, les entraves mises sur le chemin de
l’unité des forces de résistances, les réticences à fournir des armes à ceux
qui voulaient combattre à l’intérieur, l’utilisation forcenée de
l’anticommunisme, et on aura vite compris qu’il a fallu faire des miracles pour
aboutir.
Ces
miracles ont des noms
Ils s’appellent unité populaire, rassemblement de tous ceux
qui ont la liberté et la démocratie chevillées au corps. Ils s’appellent aussi
lutte des classes : le creuset où s’est enracinée la résistance est à
l’image des mineurs du Pas de Calais qui dès 1941 se mettaient en grève contre
l’occupant. Ils s’appellent construction d’un avenir et des conditions d’une
vraie libération : elles se déclinent dans le programme du Conseil
National de la Résistance. Et elles ne cessent de porter des fruits à travers
la construction d’un état social que, des décennies plus tard, les
réactionnaires de tous poils rêvent d’abattre.
La leçon du 8 Mai est sans cesse à réapprendre : d’où le
brouillard savamment entretenu.
Jean-Marie Philibert
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