les billets d'humeur de Jean Marie Philibert dans le Travailleur Catalan

Jean Marie PHILIBERT ( c'est moi ) écrit toutes les semaines un billet d'humeur dans le TRAVAILLEUR CATALAN, hebdomadaire de la fédération catalane du PCF.
Je ne peux que vous conseiller de vous abonner à ce journal qui est aujourd'hui le seul organe de presse de gauche du département des Pyrénées Orientales.
J'ai rassemblé dans ce blog quelques uns de ces billets d'humeur en rappelant brièvement les événements qu'ils évoquent

samedi 20 juillet 2013

heureux



Heureux !
Heureux ! Ils sont heureux les plus de 70 ans ! Ils le seraient même de plus en plus ! Ce n’est pas moi qui le dis. Moi je peux me tromper ! Celui qui le dit, c’est le journal qui ne se trompe jamais, le journal qui sait tout,  qui est sérieux comme un pape. C’est le MoNNNNde comme dit ma petite fille quand elle se moque de moi. Dans son édition du 10 Juillet. C’est le résultat d’un sondage  qui nous apprend que 89% des 1000 septuagénaires interrogés se déclarent heureux, que 76 % disent avoir le sentiment de s’être bien préparés à leur vieillesse. Tout baigne donc. Et le journal peut alors titrer : la vieillesse est vécue comme un temps de liberté.
Nous sommes très-très loin de la vieillesse naufrage et catastrophe.
Mais je me dis qu’un tel sondage, avec de tels résultats, à un tel moment n’est sans doute pas le fruit du seul « heureux » hasard.
Le gouvernement, le patronat, la droite , les solfériniens mous qui ne cessent de dire que les caisses de retraites seront bientôt complètement vides, que les retraités sont des privilégiés qui vivent aux dépens des jeunes générations, qu’il faut en finir avec un système archaïque qui ne produit que toujours plus d’injustice, que c’est à chaque individu de financer sa retraite et surtout pas à la solidarité, ont là l’argument qui leur manquait : les retraités baignent dans le bonheur, et  implicitement dans l’opulence . Il est donc légitime de les taxer toujours un peu plus, de ne plus indexer leur pension sur l’augmentation des prix et de réduire de façons multiples et variées le taux de remplacement de ces mêmes pensions pour tous les futurs vieux. La boucle est bouclée,  les médias bienpensants ont fait leur boulot de bourrage de crâne. Les retraités pauvres et ils sont légions sont oubliés, de toute façon ils sont heureux.
Les arguments des organisations syndicales qui préparent une riposte d’ampleur au projet gouvernemental sont réduits à néant : pourquoi se battre quand le bonheur est là.
Ah j’oubliais : même biaisés les sondages disent aussi des choses intéressantes.  Ainsi ils sont 59% à affirmer que la prise en charge financière, médicale, sociale, des personnes âgées par les pouvoir publics est insuffisante. Mais de cela on ne parle pas dans les titres.
JMP

tout dire



TOUT DIRE
Vous lisez  actuellement la dernière page de votre hebdomadaire préféré qui pendant plusieurs semaines va vous manquer cruellement. A la rédaction du TC nous sommes conscients du vide que cela va occasionner dans votre vie ; nous aussi nous avons besoin de vacances d’autant que les temps sont rudes. Mais je me suis promis de ne pas vous en remettre une couche sur la dureté de ce monde, on vous a déjà tout dit ou presque  sur la finance dévoreuse d’hommes, de femmes, sur les dérives intégristes qui parcourent le monde, sur la difficulté des patrons à distinguer humanisme et portefeuille, sur le droite qui n’arrête pas de lorgner vers son extrême, sur le parti socialiste qui n’a plus de dictionnaire pour réapprendre ce que signifie le mot socialisme…
Stop !  Respirons un grand coup et tentons de recharger les accus : notre société a besoin de notre combat, nous devons non seulement  être en forme, mais en plus nous devons être capables de rassembler tous ceux qui peuvent se reconnaître dans ces combats. Ce n’est pas la tâche la plus aisée, tant les tendances au repliement sur soi  peuvent être prégnantes dans un monde hostile où les petites chapelles en tous genres prolifèrent pour promouvoir un ersatz d’avenir.
Pour recharger les accus, j’ai une thérapie qui m’a servi pendant mes années d’enseignement et qui a fait ses preuves : elle n’a pas à être remboursée par la sécurité sociale, par ce qu’elle est gratuite, ou presque. Elle est à la portée de tous. Elle nous met en relation avec quelques esprits puissants et quelques cœurs chauds (et cela fait un bien considérable). Elle met en branle notre imaginaire, elle comble notre soif d’utopie. Elle parle à notre intimité et, dans le même mouvement, nous relie à toute l’humanité. Elle sait dire les choses parce qu’elle a un art du verbe inégalable. Même que parfois-souvent-presque toujours, elle parle en faisant des vers, avec des rimes, avec des métaphores, avec des symboles et tout le toutim. Vous avez deviné, mon  remède c’est la poésie. Et je ne veux pas que vous partiez en vacances seul : je vous propose de partir avec le poème « Tout dire » de Paul Eluard. Tout dire, c’est notre ambition au TC, mais soyons modestes, on ne le dit pas aussi bien que lui.
La parole est au poète :

Tout dire
Le tout est de tout dire et je manque de mots
Et je manque de temps et je manque d’audace
Je rêve et je dévide au hasard mes images
J’ai mal vécu et mal appris à parler clair

Tout dire les rochers la route et les pavés
Les rues et leurs passants les champs et les bergers
Le duvet du printemps la rouille de l’hiver
Le froid et la chaleur composant un seul fruit

Je veux montrer la foule et chaque homme en détail
Avec ce qui l’anime et qui le désespère
Et sous ses saisons d’homme tout ce qu’il éclaire
Son espoir et son sang son histoire et sa peine

Je veux montrer la foule immense divisée
La foule cloisonnée comme en un cimetière
Et la foule plus forte que son ombre impure
Ayant rompu ses murs ayant vaincu ses maîtres

La famille des mains la famille des feuilles
Et l’animal errant sans personnalité
Le fleuve et la rosée fécondants et fertiles
La justice debout le bonheur bien planté.
Paul Eluard (1951)
Après Eluard, j’ose à peine signer…. Jmp… en tout petit

jeudi 11 juillet 2013

laïcité



Le ciel… et la terre
Avez-vous croisé dans les rues de Perpignan un aimable passant transportant sur ses épaules une croix plus grande que lui ? Jésus, le retour !  Il y a quelques mois on pouvait le rencontrer  pratiquement tous les jours. Puis il a disparu. Ces derniers temps il reprend du service, envoyé par le ciel sans doute, pour réveiller nos consciences.
D’autres, des femmes, jeunes et moins jeunes, envoyées par le ciel (le même ? un autre ? je ne sais pas) arborent sur leur chevelure un voile, ou un foulard qui signent leur identité et un attachement solide à leur religion : nous les retrouvons relativement nombreuses dans l’espace public.
J’ai le souvenir récent d’un camarade qui participait à toutes les manifestations en arborant une pancarte « Parti des Athées ».
La laïcité à la française.
C’est le propre d’une société ouverte et intégrant des cultures diverses que de permettre la multiplicité de ces expressions dans la mesure où elles ne portent pas atteinte à la liberté de tous et de chacun. C’est un acquis démocratique indéniable.  Imaginez que l’on puisse continuer à vivre dans une société comme la nôtre selon un modèle culturel unique renvoie dans tous les sens des termes à un vœu pieux.
Pour y parvenir, il a fallu s’en donner les moyens ; il a fallu les guerres de religion, et leurs séquelles ; il a fallu les révolutions  et leur remise en cause des monarchies de droit divin ; il a fallu mettre un terme à l’osmose « régnant » entre structures étatiques et religieuses, il a fallu briser les liens entre les pouvoirs politiques, financiers et religieux, il a fallu s’appuyer sur la volonté des femmes et des hommes à vivre libres. Ça n’a pas été fait partout, c’est une spécificité de notre histoire que de mettre en œuvre une laïcité  qui permet au pouvoir politique de se fonder sur lui-même sans la moindre soumission à une quelconque transcendance surnaturelle. C’est la laïcité à la française : la puissance publique laïque n’est d’aucune religion et elle met tout en œuvre pour que ce principe soit respecté, elle renvoie à la sphère privée l’expression d’une foi ou d’une absence de foi. La loi de séparation de l’église et de l’état en 1905 en a construit les bases juridiques et sociales. Cela n’a pas fait que des heureux et ça continue à susciter des remous de toutes sortes. Rappelez-vous les propos de Nicolas Sarkozy préférant le curé à l’instituteur. Les batailles autour du mariage pour tous ont réveillé toutes les nostalgies, y compris les plus rétrogrades.
La laïcité n’est pas neutralité.
La mise en œuvre d’un tel principe n’a rien de spontané et naturel : elle repose sur une distinction rigoureuse de la sphère politique, de la sphère publique et de la sphère privée. Elle impose de distinguer laïcité et neutralité dans la mesure où la laïcité est porteuse de valeurs essentielles, solidarité, égalité, justice sociale, fraternité qu’il est plus que jamais urgent de renforcer dans une société qui sous les effets de la crise se délite et dont les capacités d’intégration sont affaiblies.
D’où l’importance de l’éducation, de l’instruction des citoyens pour fonder  dans toutes les consciences cette valeur. Elle doit être fondée rationnellement, elle doit s’appuyer sur des savoirs reconnus et incontestables pour servir de base à la formation de notre liberté et de la morale qui va avec. Le service public d’éducation est un outil de cette éducation à la laïcité, parce que son projet est l’émancipation de tous. Un projet qui semble aujourd’hui bien difficile dans un monde où les divisions sociales, culturelles, économiques, religieuses  donnent le sentiment de prendre toute la place, où l’affirmation de son identité semble nécessiter le rejet de l’autre. Un projet d’avenir pourtant qui touche à toute notre activité de citoyen.
Mais la difficulté à la défendre et à la promouvoir tient à sa nature même : elle n’est pas une foi à afficher, sur ses épaules, sur sa tête, ou sur une pancarte, fût-ce de façon symbolique, elle est vécue de façon différente par chacun en fonction de son histoire et de ses choix, elle est au cœur de nos relations aux autres, elle prend chez les autres ce qui nous les rapproche en allant au-delà de ce qui les distingue, mais elle cherche dans le creuset de chacun toutes les marques de l’humaine condition qui rassemblent les êtres de chair que nous sommes, elle peut pas cesser d’agir, et tous ceux qui se reconnaissent en elle aussi.                                                                                 Jean-Marie PHILIBERT