Le ciel… et
la terre
Avez-vous
croisé dans les rues de Perpignan un aimable passant transportant sur ses
épaules une croix plus grande que lui ? Jésus, le retour ! Il y a quelques mois on pouvait le
rencontrer pratiquement tous les jours.
Puis il a disparu. Ces derniers temps il reprend du service, envoyé par le ciel
sans doute, pour réveiller nos consciences.
D’autres,
des femmes, jeunes et moins jeunes, envoyées par le ciel (le même ? un
autre ? je ne sais pas) arborent sur leur chevelure un voile, ou un
foulard qui signent leur identité et un attachement solide à leur
religion : nous les retrouvons relativement nombreuses dans l’espace
public.
J’ai le
souvenir récent d’un camarade qui participait à toutes les manifestations en
arborant une pancarte « Parti des Athées ».
La laïcité à la française.
C’est le
propre d’une société ouverte et intégrant des cultures diverses que de
permettre la multiplicité de ces expressions dans la mesure où elles ne portent
pas atteinte à la liberté de tous et de chacun. C’est un acquis démocratique
indéniable. Imaginez que l’on puisse
continuer à vivre dans une société comme la nôtre selon un modèle culturel unique
renvoie dans tous les sens des termes à un vœu pieux.
Pour y
parvenir, il a fallu s’en donner les moyens ; il a fallu les guerres de
religion, et leurs séquelles ; il a fallu les révolutions et leur remise en cause des monarchies de
droit divin ; il a fallu mettre un terme à l’osmose « régnant »
entre structures étatiques et religieuses, il a fallu briser les liens entre
les pouvoirs politiques, financiers et religieux, il a fallu s’appuyer sur la
volonté des femmes et des hommes à vivre libres. Ça n’a pas été fait partout,
c’est une spécificité de notre histoire que de mettre en œuvre une laïcité qui permet au pouvoir politique de se fonder
sur lui-même sans la moindre soumission à une quelconque transcendance
surnaturelle. C’est la laïcité à la française : la puissance publique
laïque n’est d’aucune religion et elle met tout en œuvre pour que ce principe
soit respecté, elle renvoie à la sphère privée l’expression d’une foi ou d’une
absence de foi. La loi de séparation de l’église et de l’état en 1905 en a
construit les bases juridiques et sociales. Cela n’a pas fait que des heureux
et ça continue à susciter des remous de toutes sortes. Rappelez-vous les propos
de Nicolas Sarkozy préférant le curé à l’instituteur. Les batailles autour du
mariage pour tous ont réveillé toutes les nostalgies, y compris les plus
rétrogrades.
La laïcité n’est pas neutralité.
La mise en
œuvre d’un tel principe n’a rien de spontané et naturel : elle repose sur
une distinction rigoureuse de la sphère politique, de la sphère publique et de
la sphère privée. Elle impose de distinguer laïcité et neutralité dans la
mesure où la laïcité est porteuse de valeurs essentielles, solidarité, égalité,
justice sociale, fraternité qu’il est plus que jamais urgent de renforcer dans
une société qui sous les effets de la crise se délite et dont les capacités
d’intégration sont affaiblies.
D’où
l’importance de l’éducation, de l’instruction des citoyens pour fonder dans toutes les consciences cette valeur.
Elle doit être fondée rationnellement, elle doit s’appuyer sur des savoirs
reconnus et incontestables pour servir de base à la formation de notre liberté
et de la morale qui va avec. Le service public d’éducation est un outil de
cette éducation à la laïcité, parce que son projet est l’émancipation de tous.
Un projet qui semble aujourd’hui bien difficile dans un monde où les divisions
sociales, culturelles, économiques, religieuses
donnent le sentiment de prendre toute la place, où l’affirmation de son
identité semble nécessiter le rejet de l’autre. Un projet d’avenir pourtant qui
touche à toute notre activité de citoyen.
Mais la
difficulté à la défendre et à la promouvoir tient à sa nature même : elle
n’est pas une foi à afficher, sur ses épaules, sur sa tête, ou sur une
pancarte, fût-ce de façon symbolique, elle est vécue de façon différente par
chacun en fonction de son histoire et de ses choix, elle est au cœur de nos
relations aux autres, elle prend chez les autres ce qui nous les rapproche en
allant au-delà de ce qui les distingue, mais elle cherche dans le creuset de
chacun toutes les marques de l’humaine condition qui rassemblent les êtres de
chair que nous sommes, elle peut pas cesser d’agir, et tous ceux qui se
reconnaissent en elle aussi.
Jean-Marie PHILIBERT
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