Une leçon
d’humanité
Si nous parlions littérature … Pour quoi écrire ? Sans
doute, le plus souvent pour parler de soi. Mais cela peut-être aussi pour
parler de ceux que l’on aime, de ceux
que l’on a aimé(e)s, de ceux qui vous le rendent bien ou qui vous l’ont bien
rendu. Cela colore d’un peu de bonheur un monde qui en manque cruellement.
Nous sommes alors aux antipodes de la littérature à la mode qui s’emberlificote
les crayons dans des histoires tortueuses, compliquées et sinistres d’écrivains
qui tournent autour de leur nombril. Un livre peut tirer sa richesse de sa
simplicité et par là même nous nourrir d’une vérité que les humains que nous
sommes côtoient tous les jours sans nécessairement l’apprécier dans toute sa
richesse.
La Mémé de
Philippe Torreton.
La richesse de Philippe Torreton, ce fut sa mémé. Philippe
Torreton, vous connaissez ; c’est cet acteur de théâtre et de cinéma qui
fut un brillant sociétaire de la Comédie française, qui a obtenu un César. Un
homme qui, quoi qu’il dise, vit dans les paillettes de la société du spectacle.
Cet homme à près de 50 ans a besoin d’écrire
sur sa mémé, de faire tout un livre sur sa mémé. Non pas une biographie,
riche et documentée, sur une grand-mère embourgeoisée et célèbre. Tout
simplement une évocation sensible, simple et profondément humaine d’une femme
très modeste, de celle qui a accompagné son enfance et sa vie et qui a
contribué à le faire ce qu’il est. Une mémé normande dont il a toujours craint la
disparition, qu’il savait inéluctable.
Il la fait revivre devant nos yeux avec une intensité sobre et forte. Une leçon
de littérature et d’humanité en même temps.
Pas de chronologie, pas d’ordre apparent, pas d’analyse
psychologique, psychanalytique, sociologique, une évocation de la destinée de
Denise Porte, née en 1914, des moments de sa vie, des sentiments qu’elle
éveillait chez un jeune garçon qui semble comprendre qu’il a là un trésor à
préserver et à partager.
Gardien de
mémé.
Ainsi le début de l’ouvrage est emblématique : enfant
malade il est gardé par sa grand-mère. Ils dorment dans la même chambre. En
« gardien de mémé », il l’écoute dormir. Elle ronfle. Parfois les
ronflements s’arrêtent. Il a peur qu’elle meure. « Je ne voulais pas
qu’elle meure avant mes vingt ans, car à vingt ans on est grand, on est un
homme et un homme c’est dur à la peine, mémé, il faut tenir ! A vingt ans,
j’ai repoussé la date de « mort acceptable » à trente. Quand elle a
arrêté de respirer pour de bon, j’en avais quarante et je n’étais toujours pas
devenu un homme. ».
Le récit se terminera bien sûr, par la disparition de mémé,
l’émotion intense est surtout faite de retenue. Nous avons alors le sentiment
de très bien connaître cette mémé-là, sa maison d’une humidité inguérissable,
nous sommes dans la Normandie profonde. Son « intérieur Emmaüs »,
comme il l’appelle. Sa visite à la Comédie française pour voir son petit-fils
jouer Figaro dans le Barbier de Séville, un très grand moment pour la mémé,
pour le petit-fils et pour le lecteur. Son peu d’argent qu’elle distribue
généreusement à ses enfants. Les hommes de sa vie, ses deux maris et surtout
son frère Bernard tué au maquis. Sa vie d’ouvrière et de fermière.
« Te
voir, c’est voir le réel sans fards, ni esthétismes ».
Tous les enfants qu’elle a nourris et élevés, trois filles
(dont la mère de Torreton), les cinq enfants de son second mari et le petit
dernier qu’elle a fait avec lui, un peu feignant et rocker. Une vie de
labeur. « Jamais mes mains ne porteront ne serait-ce qu’un dixième du
poids de ce que les tiennes ont porté pendant leur vie de main de mémé. »
Si cette « Mémé » passe à côté de vous, n’hésitez
pas. Prenez le temps de la connaître, de l’écouter, de la voir agir et vivre
dans une ouverture permanente aux autres. Quand l’écriture rencontre ainsi la
vie, elle contribue à nous réconcilier avec l’humanité.
Jean-Marie Philibert.
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