« Aucune
raison ne saurait justifier cette grève ! »
La grève serait donc déraisonnable, au point de ne rien
pouvoir dire de rationnel à son sujet, au point de laisser les esprits s’emballer
dans les préjugés les plus convenus, au point d’ouvrir grand les portes à tous
les bourrages de crâne possibles. Et nos commentateurs officiels ne s’en
privent pas : à croire qu’ils seraient grassement payés pour tirer sur
tout gréviste qui bouge, ou plutôt qui ne bouge plus puisqu’il a arrêté de
faire pour un salaire souvent dérisoire tous les mouvements inutiles qu’une
journée de travail lui impose.
Le gréviste perd
le sens du temps.
A la différence de l’homme normal qui a conscience du temps,
du moment, le gréviste vivrait comme en dehors du temps puisqu’il ne sait pas
se mettre en grève au bon moment, c’est toujours trop tard ou trop tôt. Pour
les cheminots, ça tombe très mal parce
que ce jour-là on passe le bac. En plus le gréviste perd le sens de la durée,
il parle de grève illimitée. De la folie pure !
Et le plus dangereux est dans la dimension collective que
prend la folie. Ils sont des centaines, des milliers à croire que l’on peut
sans risques s’émanciper du temps, décider tous les matins de s’émanciper un
jour de plus et même voter pour le
décider dans un enthousiasme qui ne peut qu’inquiéter l’homme normal (demander
la définition à Hollande).
Le consensus mou.
Quant aux raisons de ce comportement, elles restent si incompréhensibles au commun des
mortels qu’il est d’usage sur les écrans
de n’en pas parler du tout, ou le moins possible : vous verrez les gares
vides, les voies désertes, vous entendrez les usagers en colère, le ministre
avec un rictus d’homme-sûr-de-lui-mais-qui-aimerait-que-ça-s’arrête-bientôt,
mais vous n’aurez jamais droit à un syndicaliste qui vous expliquera comment le
service public ferroviaire va être chamboulé par le projet de loi au point de détruire ce qu’il a fallu des décennies
à construire. Les élucubrations de syndicalistes sont tellement difficiles à
comprendre du grand public. Ces êtres-là ne sont pas télégéniques ; ils
parlent mal la langue flou du consensus mou (sauf peut-être à la CFDT). Il est
normal que le journaliste de service (l’expression est tout à fait adéquate) ne
leur tende pas le micro et ne fasse appel qu’à des experts de haut vol qui
savent tout sur tout et qui savent surtout nous empapaouter grave.
Enfin que dire du comportement quotidien du gréviste,
l’irrationnel y bat tous les records. Au lieu de profiter de son inactivité
professionnelle pour se reposer, s’occuper de ses enfants, il va se projeter du
matin au soir dans une frénésie d’activités
avec des drapeaux de la CGT dans toutes les mains, avec des tracts plein
les poches. Le matin au péage de l’autoroute, il empêche les automobilistes de
payer leur trajet, puis il décore la gare avec toutes sortes de banderoles,
puis il manifeste au milieu de fumigènes colorés, puis il tente de construire
une voie ferrée en plein milieu d’une rue de la ville, puis il va voir les élus du PS, il les secoue
un peu (moralement uniquement) il parle fort, très fort, il crie même, et ainsi
va sa journée sans le moindre répit, sans le moindre temps mort.
Sans temps
mort ?
Mort ? Il est normal que le gréviste ait horreur du
temps mort : son temps à lui c’est la vie et il est convaincu qu’il y a
urgence à défendre cette vie-là, qui est faite de son salaire, de nos salaires
aussi, de ses droits, de nos droits aussi, de notre travail, de son, et notre, service
public, de nos solidarités, de ce que nous avons conquis ensemble. Il le dit
avec toute la fougue qui l’anime, sans doute, parce que là où il est, il met
tous les jours le nez dans les reculades en tous genres que nous préparent des
« socialistes » empêtrés, plus empêtrés que socialistes d’ailleurs.
Comme si la locomotive du progrès n’avait plus qu’une marche
arrière !
Malgré leurs manières,
certes, complètement déraisonnables, remercions les cheminots grévistes
de nous inviter à faire repartir avec eux les trains dans le bon sens.
Jean-Marie Philibert.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire