Que faire ?
Pour se
donner quelques chances d’apporter une réponse, sinon juste, du moins quelque
peu adaptée à la situation présente, il faut tenter de la comprendre de la
saisir dans sa diversité, dans sa nouveauté, dans sa complexité, dans ses
ambiguïtés, dans ses contradictions en évitant de se raconter une histoire, des
histoires, telle(s) qu’on les aimerait. Prendre le réel à bras le corps !
LA
SITUATION
Et en cette
fin d’année 2014, en ce début 2015, ce n’est guère jouissif. Les motifs d’insatisfaction l’emportent sans aucune
contestation sur les motifs de satisfaction. ET sur tous les plans,
politiques, sociaux, économiques. Il n’y a pas plus d’argent dans les caisses
de l’état qu’il n’y en a dans les poches de la grande majorité des français, et
c’est pourtant dans ces poches là qu’une
politique fiscale profondément inégalitaire s’emploie à tenter de puiser pour
combler un déficit public que l’on dit insupportable pour notre économie. Alors
que dans le même temps, les cadeaux sous différentes formes au patronat vont
pleuvoir. Les plus riches n’ont comme d’habitude aucun souci à se faire, pas
plus que les patrons. Ce sont souvent les mêmes et le pouvoir leur fait les
yeux les plus doux possible au point de nommer un de leur poulain au ministère
des finances pour aller encore plus avant dans la politique antisociale qui
remet en cause des pans entiers de notre code du travail au prétexte de
modernisation et de promesses de développements économiques qui tiennent du
mirage alors que la récession est, elle, une réalité, que les sacrifices sont
quotidiens, que la société connaît un développement de la misère, de
l’exclusion, exponentiel.
LES
PERSPECTIVES
Cerise sur
le gâteau : le premier ministre nous annonce que ça va durer et même en pire, que c’est la seule politique
possible pour la gauche. En cette fin d’année 2014, les gens font le gros dos,
d’autant que la réactivité sociale qui
pendant longtemps a été une de nos marques de fabrique semble avoir pris un coup sur la casaque, que les luttes
sociales tournent au ralenti et que les perspectives de sursaut sont aux
abonnés absents, que l’action et l’unité d’action tiennent plus des vœux pieux
que des perspectives crédibles, le monde syndical n’est pas dans une santé des
plus florissantes. L’extrême droite fait ses
choux gras d’une telle situation et joue
à se présenter depuis les dernières élections comme le premier parti de
France. Le parti socialiste, au pouvoir pour quelques années, semble avoir fait
son deuil des promesses envolées, des électeurs enfuis, des idéaux de justice
sociale, de progrès social, considérés comme des vestiges d’un âge dépassé. Ce
que j’ai pu appeler l’ordre des choses d’un
monde qui tourne rond au fond d’une impasse. Qui tourne en rond.
DES SIGNES
ET pourtant
pour qui refuse de se laisser prendre
aux aléas d’une opinion publique versatile que des medias complaisants
façonnent au jour le jour, toujours dans le même sens, celui de l’acceptation des
injustices, des sacrifices, des désordres dominants, pour qui cherche à saisir les aspirations profondes du peuple, des gens,
des jeunes, et des moins jeunes, à mettre au jour les valeurs qui traversent
une société et son histoire, les dérives
idéologiques, réactionnaires, le repli individualiste et égoÏste, la fermeture
au monde, la peur du changement ne m’ont jamais semblé être des éléments
fondamentaux de notre comportement. Même si les signaux envoyés
restaient parcimonieux, notre capacité à agir,
à réagir restait pour moi une conviction profonde, au cœur des luttes
qu’un mouvement social souvent trop éclaté parvenait à mettre en œuvre. Reste
que les signaux politiques de la construction d’un mouvement transformateur
avaient quelques difficultés à apparaître clairement.
Les 17
morts de janvier vont à mes yeux profondément bouleversé une situation que l’on
voyait figée au point de provoquer le plus
grand rassemblement populaire vu depuis longtemps, de lui donner des
formes inédites et rares, de rappeler que l’unité
d’un peuple n’est pas qu’un slogan, mais un
fondement du vivre ensemble, qu’à cette occasion beaucoup de ceux qui
avaient déserté le terrain de l’intervention sociale et politique, le
redécouvraient et pour les plus jeunes, le découvraient.
LA RUE
Interrogeons les formes des initiatives prises : leur rapidité
d’abord. Dès le 7 janvier au soir, quelques heures après le drame le besoin de
descendre dans la rue pour dire son aversion, son rejet, son refus. Une forte dimension affective, dès le début fut lisible
dans les initiatives prises. Avec un besoin de se regrouper, de partager,
d’échanger sur des questions qui
apparaissaient dès le début comme de la plus grande importance, celle de la
liberté, de la liberté d’expression certes, mais pas seulement, celle de la
violence et de la paix, celle du vivre ensemble,
celle des clivages d’une société divisée, celle de l’inhumanité d’un monde à
domestiquer, celle d’un destin à maîtriser.
Qui est
descendu dans la rue, le 7, le 8, … le 11. Certes tous les officiels en tous
genres, chefs d’états, de partis, d’institutions, c’est leur job comme on dit.
Mais toutes les huiles présentes, quel que soit leur nombre, leur importance,
les caméras qu’elles trainaient avec elles n’ont pas été en mesure d’occulter ce
qui à mes yeux a fait la spécificité de ce moment (historique ?), la participation du peuple dans sa diversité, dans sa
masse, dans sa détermination à être là et à le montrer, pacifiquement,
sans crainte, sans arrière-pensée pour témoigner et sans doute même un peu plus. Nous y reviendrons.
Plusieurs
données me confortent dans cette analyse très largement populaire de ce
mouvement : la dimension totalement
inaudible des propos tenus par ceux ne
voulaient pas ou hésitaient à s’y inscrire, en n’y voyant que des
rapprochements contre nature, l’incapacité du front national à y voir autre
chose que des manipulations politiciennes, la
prudence des média qui ont collé aux événements sans nécessairement
chercher à les pervertir, le caractère limité par rapport à l’ampleur du
mouvement des manifestations en
opposition avec ce fort courant d’union ( même si souvent elles ont été mises
en avant.
L’ENJEU
Il y a eu des millions de Charlie et des
millions de gens qui ont dit leur attachement à une république ouverte à tous
ceux qui se reconnaissent en elle, à une république qui a besoin de revivifier
ses fondamentaux de liberté, d’égalité, de fraternité, à une république qui a
trop tendance à oublier qu’elle est laïque, qui n’en aura jamais fini de se
recharger de toutes les énergies multiples qui la constituent.
ET
MAINTENANT
Tout cela nous conduit à nous poser la question de l’heure : et
maintenant ? Avec l’ambition de construire
dans la durée un mouvement dont nous avons perçu les prémisses, mais qui
a largement débordé de ce qui était prévisible et qui a certainement perturbé
les lignes de forces des discours, des pratiques politiques habituelles.
Une réserve
initiale s’impose : je ne sais pas à quel titre je pourrais avoir une
prétention à définir, ou au moins à envisager de quelconques orientations. Sans
doute en tant que citoyen, syndicaliste, collaborateur fidèle du tc. Elles ne
peuvent être que modestes, mais je voudrais leur donner le plus de simplicité possible, le plus de clarté possible.
UNE LECTURE
MARXISTE
1-Cela
impose tout d’abord de ne pas se laisser enfermer dans un discours unanimiste,
qui serait certes attendu, mais qui ne peut être qu’improductif, qui
perpétuerait la dimension union sacrée (même si l’expression ne me paraît pas
adéquate) des événements que nous avons vécus.Il importe de clairement dire qui
parle, au nom de quelles forces, de quelles valeurs, de quelles orientations.
Je penser que la gauche, dans la gauche, le front de gauche et au sein du front
de gauche, le pc doivent être en mesure de proposer une lecture de ce moment
d’histoire, qui en montre la dimension sociale. La
lutte des classes ce n’est pas un gros mot, mais cela peut être un outil
d’analyse et il n’est pas inutile de
s’en servir.
UNE VOLONTE
MANIFESTE D’INTEGRATION
2-D’autant
que des données, pourtant fondamentales pour moi, n’ont que peu été évoquées à
l’occasion. Il s’agit bien sûr de la question
sociale, dans son ensemble, prise aussi bien dans ses dimensions d’intégration/exclusion, liées
le plus souvent à la situation de l’emploi, qu’aux questions d’aspirations à en
finir avec la galère de vivre, avec l’austérité, la précarité, le chômage, aux
possibilités d’un mieux vivre, , et à obtenir ces moyens pas seulement sous la
forme d’un assistanat misérabiliste, mais sous la forme de droits à
reconstruire et à développer. Ce n’est pas parce que ces choses-là n’ont été
que très peu évoquées dans les commentaires entendus qu’elles ne me paraissent
pas importantes. Dans la multiplication des Je suis charlie et de ses multiples
variantes, je lis une profonde volonté d’intégration qui touche toutes les
couches de la société, y compris la classe ouvrière. Je lis une revendication
d’un partage des richesses, bien plus égalitaire. Je crois que pour une fois,
en parlant d’apartheid social ( même si on peut contester la formule), Manuel
Valls a visé juste.
LA SECURITE
PASSE PAR L’INTEGRATION
3-Vous avez bien perçu qu’il ne saurait s’agir pour moi de me laisser enfermer
dans les questions de l’extrêmisme « islamiste », du terrorisme. Ce
sont des questions d’importance et elles ont joué un rôle important en tant
qu’éléments déclencheurs. Certes il convient de ne pas négliger la dimension
sécuritaire, mais elle ne sera que de peu d’effets, si dans le même temps les
pannes d’intégrations qui nourrissent un terreau favorable à ces dérives,
persistent, s’enkistent, jusqu’à créer des obstacles infranchissables. Il faut
donc reconquérir des territoires de la
république.En finir avec l’apartheid social.
LA LAICITE
L’EGALITE LA FRATERNITE
4-Dans un
monde ouvert et mélé, les désordres internationaux qui ne nous épargnent pas
peuvent porter des coups au vivre ensemble, en faisant de l’autre le bouc
émissaire de nombre de nos difficultés,
en utilisant les amalgames, les peurs et rancunes séculaires, les
incompréhensions nourries d’une méconnaissance des problèmes et de
manipulations pas toujours innocentes. Un travail pédagogique s’impose pour
dépasser les clivages : ce travail autour et sur les valeurs de la laïcité peut aider à avancer.
Elle est de la responsabilité de l’école, mais pas seulement. Remettons les religions à leurs places, au ciel !
Dans la sphère des croyances qui sont ce qu’elles veulent être, en toute
liberté, mais sans jamais contraindre sous quelque forme que ce soit nos relations
sociales et nos comportements qui ne sauraient dépendre que de notre
respect dû aux autres et attendu dans
une égale dignité.
L’UNION ET
L’ACTION
5-La
paralysie sociale et syndicale dans laquelle nous nous sommes trouvés depuis un
temps que j’ai trouvé démesurément long, si nous ne la levons pas, rapidement,
ne permettra pas de sortir positivement de cette situation. Les raisons sont
complexes, les retards pris sont considérables, mais c’est pour moi une question centrales que
celle d’institutions qui vont construire du progrès social dans des pratiques où les citoyens doivent se reconnaître, se retrouver,
s’unir. Qu’a-t-on gagné socialement depuis des années ? Rien :
on a accompagné une exploitation de plus en plus sévère et douloureuse dans des
luttes beaucoup trop éclatées. La question du
syndicalisme ne paraît centrale et elle concerne tous les salariés de
tous les horizons sans plaquer sur les syndicats des clivages politiques qui ne
conduisent qu’à la paralyser. Nous ne saurions rester les spectateurs passifs
d’une décomposition dangereuse : à nous de relever dans ce domaine
aussi le dé »fi de faire du neuf.
LE PROGRES
6-Dernière élément de mon approche : retrouver notre capacité politique à
construire un rapport de force transformateur qui ne peut que
s’appuyer sur une mobilisation populaire d’ampleur, sur une volonté de
rassemblement, sur un rejet de toutes les formes de recul social, politique,
culturel pour réinventer ce dont nous avons
perdu un peu trop facilement le sens : le progrès. C’est une idée
neuve. Je la lisais sur les foules rassemblées Place de la république et
ailleurs. Il nous revient de répondre à cette attente
JMP