François-Michel Saada, Yoav Hattab, Yohan Cohen, Clarissa
Jean-Philippe, Georges Wolinski, Bernard
Verlhac, dit Tignous, Mustapha Ourrad, Ahmed Merabet, Bernard Maris, Philippe Honoré,
dit Honoré, Stéphane Charbonnier, dit Charb, Elsa Cayat, Jean Cabut, dit Cabu,
Franck Brinsolaro, Frédéric Boisseau, Michel Renaud, Philippe Braham …et nous
Certes il y a le temps de l’émotion, de la colère, de la
révolte, de l’humeur noire et sinistre devant la barbarie. C’est utile et
nécessaire pour des êtres de chair, de sang, de sentiments qui ont fait de
l’humanité, de ses vicissitudes, de ses ambitions, de ses aspirations l’horizon commun de leurs
vies.
Le sursaut.
Et puis il y a quelque chose qui ressemble à un sursaut, très
vite, dès le mercredi après-midi, dès que la nouvelle de l’assassinat est connue. Le rassemblement. Les
rassemblements. A Paris. Comme à Perpignan. Le lendemain, les rassemblements se
poursuivent. Plus massifs, sans protocole, avec le seul besoin d’être
rassemblés pour exprimer notre aversion, notre soutien aux victimes, notre
détermination à ne pas nous laisser prendre aux pièges de la peur, de la
division, pour dire notre solidarité active. Il est tout à fait significatif
que de telles initiatives se soient répandues et multipliées dans de très
nombreuses communes du département, grandes et moins grandes, comme s’il y
avait un rendez-vous à ne pas manquer.
Il est tout aussi
significatif que ceux qui se
rassemblaient n’étaient pas seulement les participants habituels des
manifestations. Nous étions tous Charlie, mais des Charlies différents qui
n’acceptaient pas que soit ainsi attaquée la liberté d’expression, que soient
ainsi mis à mal les fondements de la vie démocratique, que la laïcité
fondatrice de notre construction politique soit foulée aux pieds par des
fanatiques.
La plus
haute humanité possible.
Il aura fallu que la tragédie se poursuive, avec sa dimension
antisémite, pour que la nation, le peuple, les gens mesurent l’ampleur de ce
qui se tramait, ici et maintenant, mais peut-être pas seulement, en multipliant les victimes innocentes. Et
qu’ils soient confortés dans l’obligation de manifester à la fois leur rejet
d’une barbarie absolue et leur soif, pour eux, pour leurs enfants (ah la
présence des enfants dans les manifs !), de la plus grande, la plus haute,
humanité possible qu’une nation rassemblée est capable de construire. Avec la
lucidité qu’il y faudra, avec la persévérance du côté de l’intervention populaire
et avec de profonds changements dans les
orientations politiques proposées. Je pense que les millions de manifestants de
samedi et dimanche étaient dans cet état d’esprit, aux antipodes des amalgames,
comme de l’angélisme. Dans une attente exigeante. Dans un espoir !
La leçon
d’Elsa-Angéla
En tout cas les manœuvres du Front National pour se plaindre
de ne pas avoir reçu de bristol d’invitation apparaissent pour ce qu’elles
sont, dérisoires et pleines de dépit devant un mouvement qu’ils sont incapables
de comprendre. Les propos de la fille de
Wolinsky, qui a comme prénoms Elsa (à cause de celle qu’aima Aragon) et Angéla
(à cause d’Angéla, la rebelle, bien sûr) et qui a rendu un hommage très
émouvant à son père ont bien situé une partie des enjeux politiques d’une telle
mobilisation : renvoyer l’extrême droite dans les bas-fonds de l’histoire.
La présence à Paris d’une quantité importante de chefs
d’états n’a pas été en mesure d’occulter ce qui fait la force du mouvement en
train de naître : son nombre, sa diversité, ses couleurs, son attente, sa tolérance, sa solidarité. La
surprise (heureuse, inattendue) dont il est porteur, l’incompréhension qu’il suscite, la
spontanéité qui est sa marque de fabrique déjouent les schémas les mieux
établis au point de prendre une dimension internationale.
Les manœuvres ne vont pas manquer pour en montrer les
limites, les insuffisances, les ambigüités, les contradictions, pour le tirer à
hue et à dia, pour le dénaturer, pour l’étouffer.
Ce mouvement appartient à tous ceux qui ont répondu aux détonations assourdissantes des
kalachnikovs et au sang versé, par leur
compassion pour les victimes, par leur calme,
par leur soif de justice et de démocratie. Ils sont des millions et ils n’ont
pas peur !
Jean-Marie Philibert
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