Les tordus
et les murs.
J’ai du mal avec les tordus : vous savez, ceux dont on a
du mal à saisir les motivations, les comportements, les ambitions, ceux qui
croient savoir mieux que vous ce qui est bon pour vous, ceux qui ont le verbe
prompt et assuré pour vous démontrer qu’ils ne sauraient avoir tort, même si
leur logique, leurs valeurs, leurs arguments sont souvent à géométrie variable.
Même s’ils dénigrent aujourd’hui ce qu’ils ont adoré hier, ou s’ils font
semblant d’aimer bien aujourd’hui ce qui hier leur donnait de l’urticaire. Bien
sûr il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis : les tordus, et
moi, pouvons en changer. Ils ont pour eux leur grande gueule : même si une
expérience un peu riche des hommes et femmes pourrait laisser percevoir chez
eux des soupçons de perversion. La confiance que l’on fait au tordu repose sur
le socle indestructible d’honnêteté foncière
sur lequel les non-tordus sont installés et sans lequel il n’y aurait
pas d‘humanité possible.
Les leçons
du tordu
Ceci dit, les tordus sont des êtres louvoyants et instables
sur lesquels rien de durable n’est envisageable ; Ils n’auront de cesse de
chercher à vous entraîner dans des torsions qui ne peuvent que vous meurtrir
tout en vous donnant des leçons de rectitude.
Il n’est jamais agréable de se faire tordufier par un tordu.
La chose est d’autant moins agréable que vous connaissez le
tordu depuis longtemps, que pendant de longues années il vous a fait bonne
impression, que vous lui avez fait confiance, que même si vous estimiez que
tout n’était pas limpide, l’essentiel avait votre agrément. Les tordus savent
d’ailleurs souvent donner le change et se parer de vertus et de plumages
capables de les rendre sympathiques, attractifs. Ils savent aussi s’entourer de
quelques naïfs voués à leur dévotion qui créent autour d’eux une aura sans
nuages. Conséquence : vous vous êtes mis à leur servir la soupe sans vous
interroger plus avant. Vous avez même refusé d’entendre ceux qui posaient
quelques questions sur la solidité du personnage. Vous seriez presque devenu
naïf comme ceux évoqués au-dessus.
Les
exigences du tordu
Et puis, le tordu a fait monter ses exigences. Les échéances
électorales approchant, son ego a été pris d’hypertrophie galopante au point de
croire que l’heure de son destin avait sonné. D’où la mise au pas de tout ce
qui l’entoure en multipliant ses
récriminations, en remettant en cause
votre capacité à décider par vous-même ce qui est bon pour vous et les vôtres,
en exigeant que vous n’écoutiez que ses conseils, en commençant à aligner les
reproches devant votre souci de rester vous-mêmes et de préserver votre
liberté, votre expérience, vos intérêts, en tentant de vous imposer ses mots à
lui et eux seuls. Tu seras « insoumis » ou ne sera pas ! Lui s’enfermant dans une hauteur et un
isolement aristocratiques où il n’entend plus rien, sûr que vous ne pouvez être
que son valet.
Le messie
n’est plus sur la croix, il s’escagasse sur les murs
Vous allez cependant au bout de vos engagements, vous lui
donnez les signatures qui lui permettent de réaliser son caprice : faire
un peu président. Comme vous êtes plus lucide que lui vous mettez l’accent sur
ce qu’il y aurait lieu de faire pour que le rêve devienne réalité, que le
tordu sorte de la spirale mégalomaniaque
dans laquelle il s’enferme dans une volonté quasi messianique. Vous plaidez la
cause du rassemblement, de l’unité, du dialogue. Vous lui dites qu’au premier tour
pour éviter le mur il faut faire une union à gauche : il n’entend rien et
il choisit le mur. Au second tour, malgré vous il n’entend rien ni personne au
point de confondre l’extrême droite et le centre et de se vautrer tout seul
dans le mur.
Et puis vient l’heure des législatives où le tordu pourrait
encore sauver ses meubles et ceux du et des courants qui ont contribué à son
élan. Il ne se rend pas compte qu’il ne s’agit en fait que de tous ceux qui ont
depuis des lustres incarné la gauche, ses luttes, ses résistances dont il parle
tant. Mais là le tordu devient brutalement plus tordu que jamais et atteint de
la frénésie d’un troisième mur ne pense qu’à se précipiter dessus (et nous
avec).
Vous comprendrez pourquoi j’ai du mal avec les tordus :
il ne nous reste plus qu’à être lucides… pour eux et pour nous.
Jean-Marie Philibert.