Le chef de
la rue ?
Etre le chef de la rue : un vieux rêve qui remonte à
l’enfance. A une époque où la rue était le terrain de jeu favori, celui de la
rencontre, des moments de détente, des loisirs, de la respiration sociale avant
que les bagnoles ne les rendent invivables et que la petite lucarne renferme
chacun chez soi pour offrir un spectacle du monde certes plus large, mais
frelaté, La rue vivait.
Elle vit encore quand des milliers de manifestants
l’envahissent pour crier leur révolte et leurs espoirs. Ce qui ne plait pas du
tout aux puissants du jour qui se sentent obligés de rappeler vertement que la
rue ne fait pas la loi ! Il n’empêche, je reste persuadé qu’elle y contribue.
Et c’est, pour cette raison, qu’on voit y poindre le nez de tous ceux qui ont
envie d’être le chef de la rue… Comme, quand enfant nous nous foutions quelques
dérouillées pour être le chef de notre rue.
Occuper la
rue
La compétition bat son plein, entre ceux qui, façon Macron,
n’aiment la rue qu’à condition qu’elle serve leur culte, qui l’occupent avec
leurs affidés, accompagnés de cars de CRS pour éloigner les gêneurs, ceux qui
depuis qu’ils existent ont compris que la rue et les luttes qui s’y expriment
sont à la vie syndicale ce que le sang est à l’organisme, qu’il ne sort rien de
très bon des salons où l’on ne fait que causer, et enfin tous ceux qui rêvent
d’être chefs de quelque chose, qui sont à la recherche de troupes, qui ne
connaissent la rue que depuis peu de temps, mais qui sont des spécialistes de
la philosophie des YAKA-FOCON, genre MELUCHE PREMIER, qui ambitionne des Champs
Elysées envahis d’un million de
manifestants pour renvoyer Macron et sa loi travail dans les cordes.
Pas à la
hauteur
Pour lui, le mouvement social n’est pas à la hauteur de ses
rêves les plus fous, les leaders syndicaux manquent de visions communes, nous
allons perdre, lance-t-il à ceux qui continuent la lutte, à ceux qui ont
rassemblé toutes les fédérations de la fonction publique le 10 Octobre, à ceux
auxquels il reproche de n’être que des rouages d’un vieux monde…
Ces propos abrupts, très réducteurs, sont totalement
incongrus pour ceux qui ont l’expérience, même modeste, de la rue. Ils sont
plus révélateurs de l’hypertrophie du personnage que de sa connaissance du
mouvement social. Ils offrent cependant l’occasion d’aborder une question
complexe que soulèvent les luttes sociales : le rapport au politique.
A
personne ? A tous ?
La rue n’est à personne, ou à tous, en particulier à ceux qui
l’occupent, le plus souvent très pacifiquement, regroupés, revendiquant avec
des messages clairs en direction des pouvoirs publics ou économiques. Elle est
le peuple rassemblé qui peut ainsi dire sa colère, ses espoirs, son besoin d’en
finir avec toutes les galères. Figurez-vous qu’elle est même inscrite dans la
constitution ! Les régimes autoritaires n’ont eu de cesse de vouloir
interdire ces rassemblements, bien sûr, séditieux : c’est dire qu’ils sont
le signe, et même un peu plus, la réalité tangible de notre liberté. C’est un
bien précieux dont les organisations syndicales ont raison d’user et d’abuser
parce qu’ils sont porteurs de nos intérêts matériels et moraux, souvent mis à
mal dans les politiques en œuvre. lls travaillent ainsi, et nous avec, au
progrès social.
Il leur appartient d’en définir les visées, les formes, les alliances, démocratiquement, en toute indépendance, avec leurs mandants (le travailleur syndiqué) qui sont seuls juges.
Il leur appartient d’en définir les visées, les formes, les alliances, démocratiquement, en toute indépendance, avec leurs mandants (le travailleur syndiqué) qui sont seuls juges.
Je sais très bien que le passé, mais aussi le présent,
pourraient contredire ces propos, qu’ils sont nombreux à imaginer un
syndicalisme aux ordres, que même le syndicalisme se plaint parfois de la
distance qui le sépare du politique, que des tentations existent. Mais je
crains que dans ces temps d’incertitude, de bouleversement du monde du travail,
d’exclusion massive de pans entiers de la population, toute dérive des
« organisations ouvrières », c’est un mot qu’il faudrait remettre à
l’honneur, vers des intérêts qui ne seraient pas ouvriers soit mortifère pour
le monde du travail.
N’en déplaise à ceux qui se voient un avenir de chefs de rue.
La rue, comme la terre,
doit être à ceux qui la « travaillent ». Il ne peut en sortir
que des récoltes futures. Encore un coup de la lutte des classes. Relisez
Germinal !
Jean-Marie Philibert.
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