L’histoire
en train de se faire
Etre ou ne pas être dans le bain de l’histoire : il est
des moments où le sentiment dominant est qu’il ne se passe rien, rien de
notable, rien d’essentiel, le monde tourne cahin-caha, le temps s’égrène, sans
aspérité, si ce n’est la monotonie de la quotidienneté. En clair, on s’emmerde
un peu. Il nous faut les dérivatifs habituels : l’Usap, la pêche, les
courses au supermarché, et la télé bien sûr. L’histoire est souvent aux abonnés
absents. C’est un peu le temps hors du temps, mais si on y réfléchit bien,
c’est bien souvent le temps le plus fréquent. Les événements du monde ne nous
touchent que subrepticement, par ricochet, par écran interposé, C’est le repli
sur l’intime, sur la proximité immédiate, sur l’égoïsme assumé.
Les fracas
du monde
Et puis il peut arriver sans que l’on sache très bien
pourquoi que les fracas du monde s’invitent dans votre quotidien, sollicitent
votre attention, votre intérêt, votre désapprobation, votre révolte, votre
adhésion. Quand vous en faites le bilan, vous vous rendez compte qu’ils sont
rares, qu’ils sont divers, qu’ils ne sont pas nécessairement heureux, mais vous
savez qu’à cette occasion vous vous êtes senti concerné parce que vous avez eu
le sentiment d’être à côté-dans-avec l’histoire en train de se faire. Vous vous
souvenez alors de votre pépé vous racontant sa guerre de 14, de l’histoire de
votre mère, infirmière militaire en 39/40 et prise dans les affres de la
débâcle avec une flopée de blessés et tentant d’échapper à l’avancée de l’armée
allemande.
Et puis vous remontez le temps, vous êtes, vous, dans le
film !
L’expérience
de l’histoire
Vous vous rappelez qu’enfant ou adolescent, la fin de la
guerre d’Algérie a amené à Perpignan un flot de troubles, parfois violents, qui
touchaient votre quotidien, vous gardez le souvenir de cars de CRS quadrillant
la ville. Parmi les milliers de rapatriés qui ont changé la ville au début des
années 60 certains sont restés dans vos mémoires, et sont même restés vos
copains. Vous avez vu la stature du Général de gaulle traversant la Place de la
Loge au milieu d’une liesse que vous ne compreniez qu’à moitié. Vous gardez des
images très inquiétantes de vos premiers passages de la frontière espagnole et
des mines patibulaires de la guardia civil.
Il vous revient même en mémoire que le virus de la grève vous ayant déjà
piqué, au moment de Charonne, vous avez, avec les petits camarades de votre
classe de première, fait grève sans trop
savoir pourquoi : vous vous êtes pris une avoinée.
Agir …
modestement
A l’âge adulte vous avez mieux pris conscience de ce qui se
jouait dans ces moments d’histoire, en 68 avec une conscience diffuse, la suite
est plus claire, plus engagée. Mitterrand, à Toulouse en 1974, l’espoir d’en
finir avec le gaullisme, les grandes manifestations régionales unitaires
(viticulteurs et salariés), la fièvre mitigée de la victoire de la gauche unie
(?) en 81, des ministres communistes, des manifestations laïques pour
nationaliser l’enseignement privé (un flop !), la lente érosion des
espoirs et les inlassables batailles syndicales, avec des moments où on a le
sentiment de toucher à l’essentiel, de titiller ce qui pourrait sembler une
victoire. 89, pour les enseignants, la revalo, 94 la Loi Falloux renvoyée aux
oubliettes par un million de manifestants. Un an plus tard, Le plan Juppé, idem, à l’issue d’une grève
dure qui dura. En 2000 les écoles révoltées contre un ministre frapadingue du
nom d’Allègre, renvoyé au vestiaire ! Ce sont là des moments de mon
histoire où le local s’élargit à une conscience collective d’un réel sur lequel
on a comme l’impression d’agir…modestement certes, mais agir quand même, avec
un cortège d’inquiétudes, de migraines, d’engueulades (non, de débats).
Il s’agit chaque fois de moments où le terrain social,
politique (et personnel) vibre, s’échauffe, germe de nos espoirs, de nos
ambitions, de nos craintes sans que sur le moment on comprenne l’exactitude de
ce qui se passe.
Avec comme un pressentiment celui de construire du
nouveau : nos camarades, nos amis, de l’autre côté des Pyrénées vivent
sans aucun doute quelque chose qui ressemble à cela. Ils le vivent avec la rue
pour paysage. Avec incertitude et enthousiasme. Avec inquiétude et espoir. Avec
la soif du rassemblement et de la démocratie. Avec l’aspiration à écrire
eux-mêmes leur histoire.
Jean-Marie Philibert
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