50 ans et
toutes ses dents
C’est le cinquantenaire, compte tenu de mon avancée en âge,
le centenaire, il n’est pas sûr que je puisse le fêter, alors n’attendons pas
plus longtemps, dès ce début janvier, certes avec quelques semaines d’avance,
allons-y gaiement, avec toute la nostalgie nécessaire, commémorons MAI
68 !
Vanitas
vanitatum
Ce sera chose faite, on n’aura plus à y revenir. Tous les
réacs en tous genres pourront disserter en long en large et en travers sur ce
qui fut un des derniers moments de trouille gigantesque pour les possédants,
sur ce qui se passe quand l’imagination prend
un peu le pouvoir, sur la convergence de l’action syndicale, sociale,
culturelle, politique quand elle sort des cadres préétablis. Ils auront
pratiquement toute l’année pour nous expliquer que VANITAS VANTATUM tout n’est
que vanité, y compris Mai 68, qu’il fallait être bien naïf pour y croire. Et
que les grands prêtres des barricades
reconvertis dans la souplesse d’échine, dans les petits fours et dans tous les
visages de la réaction ont eu raison de le faire… au moins pour leurs
portefeuilles et pour leur gloriole. A quoi bon rester fidèle à ses idéaux de
jeunesse, tout le monde a le droit de devenir un vieux con !
Comprendre Mai 68 ne peut pas faire l’impasse sur une
dimension essentielle : la référence incontournable à la jeunesse, à la
jeunesse du monde.
La vraie
vie
Et charité bien ordonnée commençant par moi-même, partons de
ma jeunesse, à moi-même bien sûr… L’humeur c’est toujours un peu personnel… 68,
la fin des études universitaires, brillantes certes, mais sinueuses, les
premiers contacts avec la vie professionnelle, mes premiers élèves, les
fondements d’une famille et vue rétrospectivement une insouciance généralisée.
Comme dit ma maman « Tu n’en as pas beaucoup dans le ciboulot ! Sois
un homme, mon fils ! » Et 68 représente pour moi, un contact sans
doute salutaire avec la vie sociale, politique, avec les soubresauts du monde,
avec la vraie vie, quoi !
Mais le paradoxe de ce contact tient à ce qu’il s’opère dans
une société où la jeunesse subit la sclérose d’années de pouvoirs gaullistes,
où le poids des idéologies rétrogrades et moralistes semble condamner les
issues, où sur tous les continents la révolte, la soif de liberté, de
démocratie grondent, où, référence à un article prémonitoire, « la France s’ennuie ».
Cette jeunesse a envahi les amphis, la démocratisation des
enseignements supérieurs a commencé ses « dégâts », la révolte des
étudiants va parachever la fin d’un monde où le désordre dominant est contesté,
où le rôle d’héritiers bien-pensants d’une bourgeoisie en mal de repères ne
fait plus recette. L’aspiration à être entendus sera décuplée par la sottise du
pouvoir et de ses charges policières.
Les luttes
Depuis des mois, le monde du travail bruit de luttes
multiformes. Le feu couve, et sans que l’on comprenne exactement pourquoi, même
50 ans après, les petites étincelles
deviennent un grand incendie : le mouvement voit se rejoindre dans
la grève les étudiants et le monde ouvrier, non pas sur la base d’un
ralliement, mais sur le besoin d’en finir avec la souffrance sociale, de sortir
d’un ras-le-bol généralisé. En effet les inégalités sociales restent fortes, la
croissance soutenue n’a pas eu pour effet de les lisser (vous savez qui tire
toujours les marrons du feu). Il y a 5
millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté, 8 millions qui vivent
avec l’équivalent de 700 euro par mois (Ludivine Bantigny, historienne).
L’utopie ?
Les morts (quoi qu’ait dit et fait le
préfet « humaniste » Grimaud), la répression, toutes les
provinces en branle, les centrales syndicales dans l’unité, la surdité du
patronat font prendre au mouvement une ampleur difficile à imaginer aujourd’hui,
jusqu’à une paralysie du pays dans une grève générale où apparaissent des voies nouvelles vers l’autogestion, le
contrôle ouvrier, on veut se parler, décider ensemble. On veut vivre l’utopie.
Les cultureux sont dans l’action, ou dans l’inaction plutôt. Le gouvernement,
le patronat, négocient : les accords de Grenelle acceptent d’un coup 10 % d‘augmentation de salaire, une semaine
supplémentaire de congés payés, une véritable reconnaissance syndicale…
Cela va sans doute paraître riquiqui à ceux qui rêvent de
« jouir sans entrave », mais le syndicalisme est essentiellement
pragmatique, et heureusement…
Nous vivons encore des
acquis de 68. Bien loin des bonimenteurs officiels qui se contorsionnent pour
nous détourner des combats de l’histoire.
Ce sont ces deux visages de conquêtes ouvrières soudaines et
considérables et d’unité des luttes sociales progressistes qu’il me semble
important de mettre en avant dans cette commémoration qui débute. Ces deux
visages avec toutes leurs dents ! Des visages vivants !
Jean-Marie Philibert.
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