Faut-il
brûler la Charte d’Amiens ?
Mon camarade Roger Hillel, à qui je dois beaucoup, et vous
aussi d’ailleurs puisqu’il m’a converti à l’écriture journalistique, en
particulier aux billets d’humeur dans le TC., a dans une tribune publiée sur
son blog, posé une question qui me semble au cœur de la problématique sociale
d’aujourd’hui : quand sera-t-il possible de lutter ensemble ? Dans un contexte de plus en plus radicalisé,
il s’attaque aux suspicions toujours vivaces qui empêchent le rassemblement : il cherche des voies
pour les réduire, en particulier en levant les réticences que les organisations syndicales et
associatives ont à accepter, es qualité,
dans leurs rassemblements les forces politiques. Selon lui la Charte
d’Amiens qui fonde l’indépendance syndicale ne correspondrait plus à la
nécessité de l’heure. Il m’invite au
débat. Faut-il brûler la Charte d’Amiens ?
Se défendre
et transformer
Je n’ai pas de fétichisme particulier concernant la Charte
d’Amiens, même si je reconnais que le syndicalisme que nous avons connu s’y est
nourri, dans sa double dimension de défense des intérêts des travailleurs et en
même temps de lutte pour une transformation sociale qui doit permettre leur
émancipation. Depuis plus d’un siècle ! Cela implique pour le syndiqué de
ne pas introduire dans l’action sociale unitaire toutes les opinions
philosophiques, politiques ou autres qu’il est en droit d’avoir, mais qui
seraient autant de ferments de désunions dans une bataille qui ne sera gagnée
que par le rassemblement du plus grand nombre : respectons l’indépendance
du syndical et du politique !
A une approche théorique de la question, je préfère le
pragmatisme et l’expérience, et elle fut longue et riche de soubresauts divers.
Les
questions
De l’expérience… C’est un chapitre des Essais de Montaigne…
Jouons donc au Montaigne du syndicalisme. Que nous apprend-elle ? Dès que
l’on intervient sur le terrain social, les questions surgissent : que
faire ? Mais la première question entraîne souvent une seconde, une
troisième… Comment faire ? Pour quoi faire ? Et pourquoi faire ?
Avec qui faire ?
Et là bien sûr, il sera question de l’autonomie, de
l’indépendance de l’organisation sociale, de sa nature, de sa liberté à
intervenir sur le terrain choisi.
Répondons dans le désordre. Pour quoi ? Pour quoi se
battre ? Mais c’est élémentaire, pour sa dignité, pour pouvoir se regarder
en face et se dire : je ne suis pas la sous-merde qu’ils imaginent et
qu’ils sont prêts à priver du nécessaire. Pourquoi ? Parce que je suis
libre, je décide de mon avenir, de mes droits, de mes désirs et personne n’est en mesure de le faire à ma
place. Parce que ma faim, ma soif, mes besoins ne sont pas de simples variables
d’ajustement d’une économie boiteuse, mais des éléments vitaux sans lesquels je
ne suis rien. Que faire et comment ? Tout ce qui est légitime, et si l’on
veut que les noix de coco tombent, il est légitime de secouer le cocotier. Il
ne s’agit pas de conversations mondaines : la seule vertu de l’action,
c’est de donner des fruits et il faut insister jusqu’à ce que les fruits soient
là. On n’est pas fatigué dans l’action sociale ! Et on ose !
Avec
qui ?
Ultime question : avec qui ? Avec tous, partis,
syndicats, associations, jeune et moins jeunes, à l’exclusion de ceux qui ont
la haine, l’exclusion, l’injustice, l’inhumanité, en bandoulières.
Avec tous ceux qui fabriquent de la plus-value, mais pas avec
ceux qui s’en nourrissent grassement.
Avec toutes les victimes innombrables d’un désordre organisé
qui veut nous isoler.
Je reste cependant persuadé que même s’il donne parfois un
visage éclaté, même si les stratégies suivies peuvent parfois tenir de
manœuvres politiciennes, même s’il a perdu de son emprise sur le salariat, le pole
syndical reste, à condition d’être porté par un mouvement de masse et de classe
unitaire, le meilleur vecteur d’une riposte d’envergure apte à faire reculer
les pouvoirs . Il est au cœur du processus d’exploitation qu’il dénonce
collectivement. Et on peut mesurer ce qu’il gagnerait en étant plus uni. Mais
il se mutilerait en se coupant des forces politiques qui le reconnaissent pour ce qu’il est,
retour à la charte d’Amiens : un outil de transformation de la société et
le terme de l’exploitation capitaliste en perspective.
Chacun dans son rôle. La pantalonnade de Mélenchon se prenant
pour le chef de la rue contre la loi travail devrait nous inciter à ne pas
confondre vitesse et précipitation.
Jean-Marie Philibert
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