Acteur de son temps
Dans ces temps troublés pour cause de covid, où les
incertitudes prolifèrent, où les pouvoirs publics donnent le sentiment de
naviguer à vue et où les discours de vérité semblent aux abonnés absents, il
est heureux d’entendre des paroles qui
tranchent avec la morosité ambiante, non pas parce qu’elles nous enferment dans
un optimisme béat et inconscient, mais bien au contraire parce qu’elles nous
amènent à regarder le réel.
La question
du temps
L’occasion m’en fut donnée lors d’une des récentes émissions
littéraires sur France 5, « La grande librairie » qui évoquait le
dernier livre de Gisèle Halimi , écrit peu de temps avant sa disparition et
présenté par la journaliste qui l’avait questionnée et accompagnée dans cette
tâche,« Une farouche liberté », un ouvrage de Laure Adler « La
voyageuse de nuit » et un livre de souvenir de Philippe Labro
« J’irai nager dans plus de rivières ». Des auteurs d’un âge certain.
Mon propos n’est pas de faire un travail critique sur ces ouvrages : je
n’ai lu que le livre de Gisèle Halimi et j’y ai pris un plaisir fort, en même
temps qu’une leçon de vie. Pour les autres je me contenterais d’évoquer ce qui
en a été dit. Cela m’a semblé suffisamment riche pour consacrer mon humeur de
la semaine à ce qui fait le quotidien, la vie, l’interrogation des humains que
nous sommes : la question du temps, du temps qui passe, de ses effets, de
ses inquiétudes et de ses espoirs, et donc la question de la vieillesse que
l’on donne aujourd’hui le sentiment de ne plus savoir appeler par son nom.
Des
euphémismes
Il y a eu le troisième âge, les personnes âgées, les ainés,
les séniors… Il y a la silver économie… Il y a la dépendance… Il y a dans la
bouche de Castex, « les papys et les mamies qui ne pourraient plus aller
chercher les petits enfants à l’ècole »… Il y a les personnes à risques…
Et j’en passe… Un ghetto idéologique (mais pas que…) dans lequel le jeunisme
ambiant donne parfois l’impression de vouloir contenir sa propre angoisse du
temps. Le monde médiatique qui n’est jamais en retard d’une turpitude peut s’il
le faut en rajouter sur l’opposition entre des retraités copieusement nourris
par leur pension et les jeunes confrontés aux réalités du chômage. Il y a même
des responsables politiques qui échafaudent des projets pour réduire les
retraites et faire payer les vieux… au nom de la justice bien sûr !
Se dire
vieux/vieille
Le témoignage de Gisèle Halimi, son attachement viscéral à la
lutte des femmes, son engagement contre le colonialisme, sa farouche
obstination à ne jamais abdiquer devant les attaques contre sa/la liberté, la
poursuite de son combat jusqu’au terme de sa vie, sans la moindre concession
aux vicissitudes de l’âge sont des signes forts. Le temps ne fait rien à
l’affaire et il importe bien moins que la fidélité à ce qu’on est, ce qu’on
croit, ce qu’on veut pour la liberté et le bonheur des femmes et des hommes.
Laure Adler confirme avec fougue cette même conviction qu’il
est important de s’affirmer pour ce qu’on est, de ne pas chercher à tromper son
monde et à se tromper soi-même, qu’il n’y pas d’autres choix que de se dire
vieux/vieille quand on l’est. Elle se moque gentiment de Philippe Labro,
aimable octogénaire, qui semble gêné par
l’expression et qui préfère se dire mûr que vieux. Et elle retrouve la réplique
que Simone Signoret faisait à propos de
Montand : « Moi, je vieillis, lui, il mûrit » La
société est sans doute, en la matière, plus dure avec les femmes qu’avec les
hommes.
Mais le rapport au temps reste rude, il importe d’y faire
face avec dignité et courage sans se prendre pour Superman ou Supermamy, en
citoyen exigeant et solidaire, en acteur de son temps !
Jean-Marie Philibert.
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