« Une main
tremblante »…mais des esprits libres.
Ma dernière humeur sur « Mimi » a suscité chez mon très cher
camarade et inaltérable compagnon de lutte syndicale et politique, Jean-Pierre
Kaminker une réponse qui présente l’intérêt de préciser ce moment de
l’histoire, que j’avais évoqué, sans en préciser avec exactitude toutes les
données. Je vous propose de lire ci-dessous
l’essentiel de son texte qui illustre le trouble suscité chez tous et
chacun, en particulier chez les membres du PCF. On y voit à l’œuvre ce que
j’appelais dans la conclusion de mon humeur les prémices du
… « bouleversement des consciences. »
« Mon très cher Jean-Marie
…
Je t’accorde tout ce que tu dis sur le traitement de l’événement par
certains médias, et je te crois d’autant plus volontiers que je n’ai pas la
télé. Mais je butte sur le sort que tu fais au Programme commun de gouvernement. A juste titre tu fais honneur au
Parti communiste d'avoir bataillé, avec succès, jusqu’à ce qu’à
ce qu’il soit signé. Mais tu exposes le lecteur distrait à croire, en te
lisant, que ce Programme est celui sur lequel Mitterrand s’est fait élire ce
jour-là. Or nous savons bien ce qu’il en fut, toi et moi qui avons vécu cette
histoire : scellé en juillet 1972 entre le PCF, le Parti Socialiste, qui
venait de tomber dans les mains de Mitterrand, et le MRG (radicaux de gauche),
l’accord sur ce programme vola en éclat cinq ans après sa signature
(septembre 1977), en sorte que Mitterrand mena sa campagne contre Giscard
en avançant un texte de sa façon intitulé Cent-dix propositions. C’est là-dessus qu’il rallia
au premier tour un quart des suffrages, contre 18% à Giscard, et c’est sur
cette base qu’il eut au second tour le soutien du PCF, avant d’accorder à
celui-ci quatre fauteuils ministériels, d’ailleurs assez
vite abandonnés.
Quant
à Georges Marchais, d’avoir été le plus ardent promoteur de feu le
Programme commun, cela ne lui valait que 15,4 % des voix, un score à
comparer, pour nous, aux deux plus proches comparables : Jacques Duclos
rétrospectivement (21,3 en 1969) et prospectivement Lajoinie (6,8 en 1988). Les
raisons ne manquaient pas ce 10 mai 81 de se méfier de ce qui allait
s’ensuivre, et je ne me cache plus aujourd’hui d’avoir été de ceux qui ont voté
Giscard au 2° tour. D'une main tremblante, certes, mais sentant bien que
l’union de la Gauche se trouverait mieux d’un combat contre un Giscard réélu
de justesse, que d’un soutien à ce Mitterrand, que l’Histoire avait
déjà jugé.
Une
connaissance fine et scrupuleuse de leur histoire est nécessaire
aux communistes, s’ils veulent réfléchir collectivement à l’Union de la
Gauche sous ses deux aspects contradictoires : un leurre et une nécessité.
Je
t’écris ces lignes pour le plaisir de communiquer et de moi à
toi. Mais si tu veux les proposer au comité de rédaction, de ta part et de la
mienne, pour publication en tout ou en partie, libre à toi. Bon courage et amical salut, J.P.K.
Mon très cher Jean Pierre,
Au-delà du plaisir de te lire, ton propos me
conduit à me poser des questions
essentielles, moi qui ai voté Mimi, celle de la fragilité de nos opinions,
celle de notre participation, sans doute modeste, à l’histoire par des voies divergentes, tout
en partageant les mêmes valeurs, et enfin et surtout celle de notre
indéfectible liberté de pensée. En effet par-delà les péripéties politiques et
les choix à faire dans le secret d’un isoloir nous avons l’un et l’autre secoué
nos certitudes et nos engagements dans
des consciences qui n’étaient sûres de rien, mais qui savaient les
responsabilités qu’elles prenaient. Quarante ans après je ne suis pas certain
que tu aies eu tort, je ne suis pas du tout certain d’avoir eu raison.
L’histoire n’a pas tranché : elle nous laisse confrontés à nos doutes
fondateurs de notre humanité et à notre lutte quotidienne pour que le monde
change.
Jean-Marie Philibert
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