Un billet d’humeur, c’est comme l’humeur, ça va, ça vient,
ça monte et ça descend, ça part dans tous les sens et ça permet de tout
mélanger : le bon, le moins bon et le pire, l’exaltation, l’enthousiasme et
les coups de blues, les hautes sphères et les basses œuvres.
Les trivialités de la vie politique, la pure et gratuite
spiritualité de la démarche poétique sont aux antipodes, et pourtant aujourd’hui, j’ai envie de les rapprocher.
L’intime et
l’universel
La poésie a été mon gagne pain ; le prof de lettres que
je fus, et que je reste encore un peu, a
consacré une part relativement importante de son activité à tenter de
communiquer aux adolescents qui, au fur
et à mesure, peuplaient de plus en plus
nombreux mes classes, l’amour… soyons plus modeste, disons … un début d’intérêt
pour la chose littéraire, pour les auteurs qui fondent notre culture, pour les
œuvres qui peuvent marquer notre personnalité. J’ai toujours fait dans mes choix la part belle à la poésie et
aux poètes à cause de leur aptitude à toucher en même temps l’intime et
l’universel, le concret le plus sensible et l’abstrait le plus exigeant, dans
une forme ciselée et sur mesure. Ces paroles vivantes, proches et lointaines,
sont proférées pour nous toucher et il leur arrive de le faire.
Toutes les
réalités
Je pensais et je pense toujours qu’elles peuvent avoir une
valeur formatrice, ne serait-ce que nous rendre sensible la densité mystérieuse de la vie. Donc mes
élèves ont eu l’occasion de fréquenter Louise Labbé,
Agrippa d’Aubigné, Ronsard …Jean
Joubert, André Breton et bien sûr tous
les autres … célébrissimes ou pas. Et
paradoxe des paradoxes, cette fréquentation loin d’enfermer les textes
dans un ciel poétique et éthéré était l’occasion d’échanges, de commentaires, où
toutes les réalités étaient
régulièrement convoquées. Les réalités de l’amour, de la guerre, de la vie
quotidienne, du corps, de la maladie, de la joie de vivre, de l’inquiétude, de
l’oppression, du temps, de l’histoire, et donc tout naturellement de la
politique. N’ayez crainte, loin, très loin de la politique politicienne, comme
on dit aujourd’hui.
La poésie en est l’antidote absolu. Mais elle est en même
temps une voix royale pour s’ouvrir aux autres, pour construire les partages de
destins sans lesquels il n’y aurait pas
de société et pas de politique, pour rendre palpable la nécessaire solidarité
des hommes et des femmes, pour donner du sens aux pouvoirs et aux évènements . Regarder
comment toutes les dictatures n’ont de cesse de tenter d’étouffer toutes les
voix littéraires qui pourraient les gêner.
Donner du sens.
Donner du sens, avec
des mots, avec de la rhétorique, avec des images, avec de l’invention et agir
sur le monde, à sa place, dans le lieu que l’on a choisi, sur la terre que l’on
aime, défendre, promouvoir, faire vivre,
anoblir la langue que l’on a envie de faire vivre parce qu’elle est une partie
de nous-mêmes, dire ce que l’on doit dire, faire ce que l’on dit et dire ce que
l’on doit faire en payant de sa personne : les grands poètes, les phares
(comme les appelait Baudelaire) se sont engagés dans ces voies –là, quel que
soit ce qu’il leur en a coûté, et ils nous ont servis, ils nous servent encore de repères. Les troubles de ce temps les
rendent plus que jamais nécessaires.
Dans un petit bout de montagne, en ciselant une langue catalane
que le temps et l’histoire avaient malmenée, Jordi Pere Cerda a donné du sens,
des sens à partager, pour que notre bout de monde devienne le monde dans sa
complexité et son universalité. Le poète et le politique ne font qu’un dans
cette démarche : dire le monde, et le dire avec autant d’acuité, c’est
déjà se mettre en capacité de le transformer. René Char l’a magnifiquement dit,
le poète… « un professeur d’espérance. »
Jean-Marie PHILIBERT.
Ce sont là mes sentiments
à la lecture du numéro spécial du TC consacré à Jordi Pere Cerda : en
cette période de Noël, il y a des cadeaux modestes qui pourtant sont d’une
richesse insoupçonnée.