La
vie / la mort / le progrès … à reculons
Vous pensiez être au courant de tous les emmerdements qui
pouvaient vous tomber dessus : depuis de nombreuses années tous les jours
sur les petits écrans, dans les magazines, dans la presse on vous expliquait
que les trente glorieuses, c’était fini, inexorablement fini, qu’il fallait
vous replier dans votre coquille, que le nouveau millénaire dans lequel vous
rentriez ne pourrait être que celui des sacrifices, qu’il était grand temps de
payer la note des débordements des décennies passées, de mai 68, des dépenses
inconsidérées, des libertés de mœurs acquises sans autorisation papale, des
augmentations de salaires presque régulières, de l’emploi à vie, de la retraite
à 60 ans, de la sécurité sociale protectrice…
Fini
Fini… et des paroles aux actes les choses sont allées très
vite. Des millions de chômeurs, des millions de précaires, le code du travail
en voie de décomposition, une sécurité sociale des plus riquiqui et certains
médecins qui vous demandent, comme des malfrats, des dessous de tables (oh
pardon des dépassements d’honoraires), des familles dans la détresse, des
enfants, des femmes, des hommes sans toit, sans espoir. La mendicité comme
moyen de survie, et les restos du cœur pour ne pas crever de faim. Le tableau
n’est pas complet pour ne pas désespérer ceux qui avaient le sentiment d’être
passés pour le moment à travers les mailles du filet de la misère
sociale : il faut laisser quelques étoiles briller (les plus lointaines
possible) dans les ciels de la conscience populaire.
On se disait que tout cela n’aurait qu’un temps, que nos
enfants, nos petits-enfants connaîtraient des époques plus florissantes, que
les générations qui nous avaient précédés avaient connu la guerre et que nous,
c’est une guerre sociale que nous affrontons. Courage ! Courage ! La
droite nous avait mis dans la panade, le parti socialiste en rajoutait une
couche, nous avions le sentiment d’avoir touché le fond. Les promesses
électorales étaient comme les feuilles mortes : elles se ramassaient à la
pelle. Nous faisions le gros dos.
Pas tout à
fait ?
Mais nous savions quand même que nous étions dans un pays
riche, instruit, policé, savant, que nous avions des moyens supérieurs à ceux de la majorité des pays de la planète
pour faire face aux aléas de la vie, que l’état social avait été attaqué, mais
gardait quelques restes, que l’instruction se développait dans le pays (même
avec des hauts et des bas), que nos services publics faisaient encore des
envieux, qu’on venait encore de l’étranger se faire soigner dans les hôpitaux
français.
Ces signes positifs étaient confortés par l’augmentation
régulière de la durée de vie que l’on promettait aux générations
d’aujourd’hui : les femmes avaient dépassé les 80 ans et les hommes en
approchaient. La vie ne serait pas toujours très belle, mais elle serait
longue, et nous en profiterions. Nous
n’avions pas tout perdu.
Catastrophe
Catastrophe ! Ça aussi, c’est fini, la courbe de la mortalité
est repartie à la hausse, nous disent les démographes, pour la première fois
depuis bien longtemps. L’ère du déclinisme ne fait donc que commencer :
« Le nombre de décès est au plus haut depuis l’après-guerre …
l’espérance de vie à la naissance a diminué de 0.3 an pour les hommes et de 0.4
an pour les femmes pour s’établir respectivement à 78.9 ans et 85 ans… C’est la
première fois depuis très longtemps que l’espérance de vie baisse. » Ce
sont les gens de l’INSEE qui le disent.
Mais ne paniquons pas : cela n’a rien à voir avec la
dureté de nos vies (voir plus haut), c’est la conjoncture, la canicule de
juillet 2015, la vague de froid d’octobre, le vaccin de la grippe qui a manqué
d’efficacité. Tel un chœur des vierges, tous les spécialistes de la démographie
entonnent la même rengaine.
Pas un pour vous dire, qu’à force d’avancer à reculons, on
tue à petit feu les progrès construits, conquis, par tous, pour tous, et que
ces progrès ne concernent pas seulement nos conditions d’existence, mais notre
vie au sens très plein du terme.
Eh bien, moi, je vous le dis !
Jean-Marie Philibert.
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