ALLEGORIES
Ce n’était pas un mariage d’amour, mais depuis des décennies
Madame Ladroiteprésentaple avait uni son destin avec Monsieur Lagaucherésonaple
et il gérait tant bien que mal (plutôt mal que bien d’ailleurs) leurs familles
nombreuses. Parmi leurs innombrables enfants, ils avaient une très nette
préférence pour ceux des beaux quartiers, des bons boulots à qui ils
réservaient l’essentiel de leurs soins. Pour eux la carotte et pour tous les
autres le bâton. Vous imaginez l’ambiance dans la famille : il y avait du
bien, mais la grande majorité en était exclue. Madame de droite et Monsieur de
gauche se répartissaient les rôles pour faire croire à presque tous qu’ils
faisaient leur possible et même leur impossible pour les rendre heureux, mais
ils ne trompaient pas grand monde et beaucoup d’enfants se détournaient d’une
famille aussi lamentaple.
Injustice à
tous les étages
D’autant que les enfants n’étaient pas les seuls à souffrir
de traitements discriminatoires. Les papys et mamies subissaient le même
sort : c’était injustice à tous les étages. Entre la mamie de droite,
Eugénie Dugrandcapital qui avait droit à tous les égards et le papy de gauche
Ernest Ducodedutravail qui souffrait de toutes sortes de maltraitances, il y
avait la morgue des puissants affrontant la modestie des humbles dans un
laisser-faire général. On avait même le sentiment qu’il n’y avait pas que du
laisser-aller, de la négligence, de l’incapacité dans ce foutoir universel,
mais une volonté délibérée de rompre avec un destin humain pour tous pour
remettre en cause les fondements
égalitaires de la société.
Résiste,
Papy !
La mamie capitaliste triomphait. Le papy ducodedutravail fulminait, rouspétait :
on le disait gâteux, dépassé, complètement inadapté à un monde qui a besoin de
réformes. Beaucoup de ses petits enfants avaient encore beaucoup de tendresse
pour lui : « On te laissera pas tomber papy !
Résiste ! » Mais il était âgé, il était malade de toutes les misères
qu’on lui avait faites. Il était prêt à se battre pourtant. Pour lui en faire
passer l’envie et pour « s’occuper » de lui on n’avait pas trouvé
mieux qu’une mégère au nom prédestiné, Conery, ou quelque chose comme ça, qui
lui menait une vie d’enfer.
Tous les matins elle lui faisait une séance de
flexi-sécurité, pour l’assouplir… En vain. A lui qui rêvait d’une vie organisée
et calme elle imposait sans cesse des changements d’horaires sans raison. Le
dimanche, elle le faisait travailler deux fois plus que d’habitude. Elle ne lui
laissait plus aucun temps de loisir. A-t-on besoin de loisirs quand on est
vieux ? Quand il osait parler de ses droits, elle lui disait que le seul
qui lui restait était le droit de se taire et qu’il avait intérêt à s’en servir
souvent, sinon, même celui-là, on le lui supprimerait. Et elle riait, la
garce !
L’heure de
la révolte
N’y tenant plus, le papy que l’on disait dépassé, inadapté,
un peu couillon, a décidé, pas seulement
pour lui, mais pour tous ses petits enfants, dont il était pratiquement le seul
père protecteur qui leur restait, de ne plus
laisser faire, de sonner l’heure de la révolte, d’organiser une riposte
à la mesure des misères qu’on lui faisait à lui et à tous les siens. Et de
lancer sur internet la pétition du siècle qui s’est couverte de centaines de
milliers de signatures, de réunir les syndicats, de les amener à parler d’une
voix pour le défendre, de mettre en train des actions unitaires. La
droiteprésentaple et la gaucherésonaple étaient sur le cul : le vieux
osait leur résister.
Ce soir-là il a twitté, et oui on peut être papy et rester
jeune :
# Belle journée aujourd’hui, la
bien nommée, la Conery, elle est dans les cordes et tous les petits merdeux qui
l’entourent avec… Ils se prétendent la gauche et à cause de ça ils se croient
tout permis avec la suffisance en prime. Mensonge ! Ils ont oublié qu’une
société est faite aussi et surtout de gens qui luttent, qui espèrent, qui
tentent de construire un avenir digne à la mesure de leurs exigences humaines.
Pour qu’il en soit ainsi, il faut de la justice, des lois, du droit…et du droit
du travail entre autres. Ils ne sont pas prêts de m’enterrer #########
Jean-Marie Philibert.
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