Raison…Déraison…
Il est une information sortie la semaine dernière qui touche
au cœur du pouvoir et de notre sécurité, qui pose de redoutables et complexes
problèmes juridiques et moraux, qui voit
des élus, des fonctionnaires, des militaires du plus haut niveau prendre
en dehors de tout cadre légal des décisions de supprimer, sans le dire, sans le
reconnaître des individus censés appartenir
à des mouvances terroristes. Au nom
d’un état… de droit paraît-il !
L’état de
droit ?
Sous le titre « Comment Hollande
autorise « l’exécution ciblée » de terroristes, un grand
quotidien national du soir, le Monde, donne tous les détails nécessaires pour
comprendre une démarche du plus haut sommet de l’état qui donne le sentiment de
bafouer, avec méthode et sans complexe, l’état de droit qu’il a la charge
d’incarner, de défendre, de promouvoir.
Dans ma très grande naïveté je pensais une telle démarche,
soit impensable, soit inavouable : dans ce cas précis, j’ai les deux. La
démarche est pensée, organisée au plus haut niveau de l’état ; paraît-il
qu’il y a même une circulaire, confidentielle bien sûr, pour dire comment
faire. Et même, cerise sur le gâteau de la gloriole catalane : les « exécutants »,
au sens plein du terme, bras armés de la Direction générale de la sécurité
extérieure, sont formés à Perpignan à la Citadelle. La démarche est
même en partie avouée, dans le cadre du livre « Un président ne
devrait pas dire ça… », Hollande l’a confiée aux deux journalistes qu’il a reçus à de nombreuses reprises pour
dire ce qu’il ne devrait pas dire.
« Je
ne dis pas ce que je dis »
Cette figure de rhétorique, porte un nom. Celui de
prétérition. Elle permet de dire que l’on ne dit pas ce que l’on dit tout en le
disant pour empapaouter le lecteur et lui faire croire que l’on n’a pas dit ce
que l’on a dit, surtout si ce que l’on dit n’est pas tout à fait avouable. Vous
reconnaîtrez sans difficulté dans la méthode la pâte hollandaise de l’obscure
clarté qui l’a conduit au firmament de la popularité.
Mais reste le fond du dossier : où est la légitimité, où
est la légalité, où est le droit, où est la morale ? Y a-t-il une morale
dans les relations entre des états et de groupes qui cherchent à les
détruire ? Il fut un temps où on parlait du droit de la guerre, mais ici
où est la guerre ? Et où est le droit ? Quelle est la nature du monde
que l’on prétend construire ? Le
monde de la violence aveugle ? Ou la difficile construction d’un monde de
paix ? Quel est le rôle d’un état ? Quels sont ses pouvoirs ?
Arbitraires ? Illimités ? Quelles sont ses obligations ? En
particulier quand il se situe délibérément du côté du droit qui est le
fondement de son organisation, peut-il tout se permettre ?
L’histoire nous apprend que les états, y compris le nôtre,
s’est permis pas mal, mais sans aveu le plus souvent.
Un
engrenage sans fin
Les aveux obscurs d’Hollande, l’enquête parue dans la presse
et ce qu’elle révèle des dézingages multiples et variés de terroristes en tous
genres par les Américains, les Français
et sans doute d’autres, jettent un tel pavé dans la mare que je me sens dans
l’incapacité d’apporter ne serait-ce qu’un début de réponse aux questions
posées. Cette difficulté, liée à la barbarie et à la désolation que des
fanatiques, aux antipodes de toute humanité, ont décidé de répandre sur des
sociétés qu’ils rejettent, avec un cortège macabre de tueries et de souffrances
d’innocentes victimes, laisse la porte ouverte à un engrenage sans fin de
violence.
C’est un tel engrenage que les manifestations qui ont suivi
les multiples attentats qui ont endeuillé le pays depuis Charlie Hebdo
rejettent en jouant la seule carte utile
dans un tel cas celle du rassemblement et de la solidarité. En jouant au chef
de guerre, incarnation d’un état qui a du muscle, sans le moindre contrôle
démocratique, sans se donner les moyens de construire la plus large coalition
internationale pour isoler les terroristes,
le pouvoir me donne le sentiment de s’enliser dans une attitude qui a
remplacé la raison d’état, par la déraison d’état.
Jean-Marie Philibert.
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