N’ayons pas
peur des gros mots
Au moment où j’écris ces lignes, le premier tour de la
primaire socialiste n’a pas eu lieu, je ne peux donc rien présumer de la force
des arguments des uns et des autres, ni de l’orientation de chacun qui ressemblait étrangement à l’orientation de
tous et qui dérogeait relativement peu
de la ligne « sociale » »libérale qui nous a conduits
collectivement dans le mur. « Relativement peu » est un euphémisme
pour dire presque pas, ou mieux pas du
tout, tant la prudence de tous donnait
l’impression de paralyser chacun. Evoquer la nécessité de faire bouger les
lignes, mettre le monde du travail au cœur du dispositif, augmenter les
salaires, le pouvoir d’achat, défendre la protection sociale, développer
les services publics, répondre aux besoins sociaux, nous y penserons plus tard,
demain, après-demain, un jour ou l’autre.
Des avis
partagés
Le seul à avoir jeté le trouble dans le marigot, Benoît Hamon
a avancé une idée apparemment nouvelle et généreuse : le revenu universel.
A l’intérieur du journal, vous avez pu constater que les avis sont partagés sur
la question : vous retrouverez les arguments favorables ou défavorables. Il ne vous reste
plus qu’à bâtir votre opinion en tentant de maîtriser tous les tenants et
aboutissants d’une telle mesure et surtout d’en voir les enjeux.
Certes, il est difficilement supportable de voir le flot de
misères qui traverse la société et qui produit des ravages qui s’accentuent :
ceux qui n’ont rien sont légion. Il est urgent de trouver une solution, les
aides existantes ont montré leurs limites et la jungle administrative qui les
entoure les rendent parfois inopérantes. Il fut un temps où les pauvres avaient
droit à la soupe populaire. On l’a remplacée par les restos du cœur. La
situation a empiré : on est là dans la survie, dans les accommodements
solidaires qui permettent de ne pas complètement sombrer.
Et l’ordre
du monde ?
Il importe de remettre l’ordre du monde sur ses pieds et de
cesser de le tournebouler, avec ses femmes, ses hommes, ses jeunes, ses vieux
en souffrance, en développant de façon exponentielle les dégâts sociaux,
psychologiques, physiologiques, personnels, collectifs…
Le revenu universel, nécessairement limité, permettrait, sans doute (?)
peut-être (?) de répandre une manne un peu plus largement. Mais restant en
deçà des besoins, il élargira un peu plus le monde des pauvres assistés,
ghettoïsés dans une société qui ne sera plus la leur et qui pourra se dédouaner
en disant qu’elle fait tout ce qu’elle peut : elle redistribue un peu plus
largement de l’argent public sans rien changer aux rapports sociaux. Surtout
pas !
Le cœur de
la question
Parce que là est le cœur de la question : la grande
faiblesse du revenu universel est qu’il est totalement déconnecté de ce qui
fait le cœur de l’activité humaine, économique, sociale, la production des
richesses, le travail dans son sens plein et général et qu’il enferme un peu
plus ceux qu’il entend aider dans une redistribution par l’état de l’argent de
tous avec la tentation d’élargir un peu plus le nombre des pauvres, des exclus
du monde du travail pour les installer dans une précarité durable, fatale et
« supportable ».
Il rate sa cible parce qu’il ne touche en rien à la
finance qui continue de croître et de proliférer pour enrichir un peu plus des
nantis qui n’ont ni patrie, ni morale, si ce n’est celle de s’en mettre tous
les jours plein les fouilles, quelles que soient les conséquences de leurs
turpitudes : la misère répandue est leur richesse. Je crains que le revenu
universel ne serve que de cache-misère et ne fasse payer par le citoyen de base
quelque chose qui ressemble étrangement à la charité que les bien-pensants
faisaient aux pauvres de la paroisse à la sortie de l’église le dimanche.
J’imagine une véritable distribution inscrite dans un
programme politique transformateur qui dirait qu’il faut prendre au capital et
à la finance internationale le pouvoir pour construire une société de
justice : ça passe par la mise au pas des grands groupes capitalistes. Il
fut un temps où on appelait cela des nationalisations. Une appropriation
collective des moyens de production. Oh ! Pardon !
J’ai comme le
sentiment d’avoir dit un gros mot !
Jean-Marie Philibert
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