Métaphores,
encore et toujours…
Il faut souvent se méfier des métaphores ou des expressions
toutes faites qui sur le moment vous donnent le sentiment de régler avec
facilité des problèmes ardus et de clouer le bec à vos contradicteurs. La
langue est pleine de pièges et bien
malin celui qui croit pouvoir les déjouer avec facilité.
Deux exemples dans l’actualité toute proche apportent de l’eau à
mon moulin.
Exemple 1
Rappelez-vous la métaphore de l’archipel que Jean-Paul Alduy,
quand il fut maire de Perpignan, a mis à toutes les sauces en faisant un
archipel de notre ville, de ses quartiers disparates, des communes qui
l’entourent, de l’agglomération que tout cela est censé composer et dont il
était le grand manitou.
Cela avait la saveur de l’exotisme, le charme de la mer, la
liberté, le calme des îles. Dans un archipel, chaque île a sa personnalité, vit
sa vie tout en étant en lien avec les autres. Dans un archipel entre les îles
existent des frontières naturelles qui font que même si l’on peut se visiter
chacun reste chez soi et que si des échanges existent ils ne remettent jamais
en cause la structure de la population.
L’île Saint Jacques sera fidèle à elle-même, certains quartiers
du Nord de Perpignan seront « compliqués », les beaux quartiers le
seront toujours, les faubourgs populaires aussi et garderont surtout leur populaire pour eux, quant aux îles
éloignées, elles ne troubleront que faiblement l’atmosphère de la vénérable
cité.
Au lieu de travailler à la mixité sociale, à la rénovation, au lieu de s’attaquer aux divisions sociales,
à la ségrégation, à la construction d’une cité solidaire, par-delà ses
différences, en un mot au progrès, Jean Paul Alduy rêvait de nous voir rester
chacun dans nos îles, de préserver le statu quo et la rente politique que son
père lui avait léguée.
La métaphore des îles a bon dos. Quelques années après, remords
? Repentir ? Ou peau de banane pour ses successeurs ? Il s’étonne dans un
livre, présenté dans la presse que cela n’ait pas marché. La magie des mots a
ses limites, surtout quand on s’adresse
à des concitoyens qui ne sont pas nécessairement des imbéciles.
Exemple 2
Ce même principe
s’applique à la dernière expression que le Jupiter qui nous gouverne mal a
trouvée pour régler le problème du chômage. A un jeune homme ayant suivi une
formation en horticulture et qui lui faisait part de ses difficultés à trouver
un emploi, du haut de sa suffisance ne voilà-t-il pas qu’il lui dit que pour
travailler il suffit de traverser la rue, de demander au bistroquier qui est en
face un boulot et le tour est joué, vous n’êtes plus chômeur. Sous-entendu il
ne faut pas être une grosse feignasse, il faut accepter n’importe quoi, à
n’importe quel prix, il faut être souple, malléable, prendre la société comme
elle est et surtout, surtout ne pas chercher à changer. Y a-t-il un geste plus
simple que celui de traverser une rue ? Il y a donc en France des millions de
gens qui sont incapables de traverser une rue.
On mesure l’échec patent de notre système éducatif où on met un
pognon de dingue pour enseigner des matières qui ne servent à rien et où on
n’apprend pas à repérer les passages piétons et à traverser les rues à des
jeunes qui manquent vraiment d’ambition.
Esprit critique
La réaction populaire devant l’inanité d’un tel propos me
convainc que dans mes années d’enseignement j’ai bien fait de privilégier
l’apprentissage de l’esprit critique, à l’étude des règles de la circulation
urbaine.
L’esprit critique est celui qui déjoue les pièges des mots, des
métaphores séduisantes, des lieux
communs imparables, des conseils à deux balles.
D’autant que la métaphore de la rue est d’une richesse
incommensurable : la rue, c’est la vie, la rencontre, le lieu d’expression, de
respiration d’une société. La rue, c’est ce qu’il nous reste quand on a tout
perdu. La rue, on y exprime nos colères, nos révoltes, nos espoirs... On a tout
intérêt à y descendre, à y redescendre, à y reredescendre, non pas pour la
traverser, mais pour y rester, pour la prendre, pour s’y répandre les plus nombreux possibles dans la multiplicité d’un
peuple divers.
Jean-Marie Philibert.