ANTONI
CLAVE
IL NE FAUT PAS LE LAISSER PASSER INCOGNITO
Sur une thématique faite pour nous séduire au TC « Sur
le front de l’art », le Musée Rigaud présente une nouvelle exposition temporaire
de très haute tenue qui permet de (re)découvrir un grand d’Espagne, qui fait
partie de ceux qui, dans les temps troubles de la guerre civile et de la dictature franquist
e, ont su être l’honneur de leur pays.
De Barcelone à
Perpignan
Elle s’inscrit dans l’itinéraire personnel du peintre, né à
Barcelone en 1913, et employé dans un premier temps dans une entreprise de
peinture (en bâtiment), pour ensuite se lancer dans le graphisme et la
réalisation d’affiches de cinéma. Plusieurs sont exposées, d’une modernité
surprenante. Mobilisé en 37 pour défendre la république, il travaille dans le
domaine de l’affiche politique. Quand Barcelone tombe aux mains de l’armée
franquiste, il franchit la frontière française, à Prats de Mollo en janvier 39.
Il sera interné à Perpignan au camp des
Haras, où il dessine le quotidien de l’enfermement. La délicatesse, la finesse
des dessins de cette période peut sembler paradoxale par rapport à la dureté
des expériences vécues. Martin Vives, artiste peintre local, contribue à sa
libération, à une exposition à Perpignan qui lui permet de gagner quelque
argent et de partir pour Paris.
Avec Pablo
Il y intègre rapidement les activités de l’ «Ecole
espagnole de Paris », participe à la lutte antifranquiste, se lie d’amitié
avec Picasso, travaille pour le théâtre, pour des éditions de livres précieux.
Vous verrez la maquette des décors pour
«la Peur» ballet de Roland Petit. A la fin des années 50, plusieurs expositions
lui permettent d’acquérir une renommée
internationale. Il s’installera dans le midi de la France. La fin du franquisme
voit la reconnaissance d’Antoni Clavé dans son pays d’origine et en 84 le
pavillon espagnol à la Biennale de Venise lui est consacré.
Il rend, avec la variété de ses talents, hommage à Picasso.
Le musée Rigaud expose toute une série
d’œuvres « A Don Pablo », d’une puissance et d’une invention digne du
maître. Les grandes rétrospectives se multiplient de Paris à New York, du Chili à l’Italie. Il ne
cessera d’inventer, de se renouveler, grands formats, nouvelles techniques de
gravures, étranges et dérisoires instruments de musique, de la musique …
« pour les yeux » dit-il. Le tout, toujours, avec la dose d’humour
qui va avec. Il y en a plusieurs dans l’exposition.
Une œuvre superbe et
variée
Son œuvre est graphique et picturale, mais il s’intéresse
aussi à la matière, aux objets détournés qui deviennent sculptures, aux
collages, aux papiers froissés. Il part du figuratif, mais s’en détache, sans
couper définitivement les ponts. La thématique des « guerriers »
revient comme un leitmotiv, ils semblent
agressifs, fantomatiques, enfantins. Ils sont souvent armés d’une lance et
inquiétants, ils peuvent être de bronze, ou peints de couleurs sombres, irisés
d’éclats vifs.
Je vois dans les petites armoires peintes et
garnies d’objets étranges présentées dans l’exposition des témoignages
fantaisistes sur sa vie intérieure, sur son irréductible personnalité, au-delà
de toute rationalité, dont il préserve les secrets. Ses réinterprétations de
tableaux du Greco sont aussi
l’expression de ce regard personnel qui ne veut pas se laisser assimiler à du
déjà connu. Il veut inventer et réinventer. C’est qu’il fait dans ses œuvres
avec du papier froissé, en trompe-l’œil ou en collage : des images
éclatées qui rejoignent ses thématiques anciennes. Avec parfois un sens plus
marqué : ainsi la revendication catalaniste « Volem l’estatut »
de 1977.
Réservons pour la fin les sculptures, faites de bouts de
bois, de bouts de ficelles, de quelques clous, d’objets hétéroclites, qui
traduisent une âme d’éternel enfant, et les grands formats des dernières
années, où avec une fougue absolument juvénile, il rassemble toute la
thématique de son œuvre pour créer les images d’un monde à la fois onirique et
vrai qui nous surprend par sa puissance.
Il ne faut pas laisser passer Clavé incognito. Il faut aller
le voir et le méditer dans un riche dialogue.
Merci Antoni !
Jean-Marie Philibert
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