les billets d'humeur de Jean Marie Philibert dans le Travailleur Catalan

Jean Marie PHILIBERT ( c'est moi ) écrit toutes les semaines un billet d'humeur dans le TRAVAILLEUR CATALAN, hebdomadaire de la fédération catalane du PCF.
Je ne peux que vous conseiller de vous abonner à ce journal qui est aujourd'hui le seul organe de presse de gauche du département des Pyrénées Orientales.
J'ai rassemblé dans ce blog quelques uns de ces billets d'humeur en rappelant brièvement les événements qu'ils évoquent

mardi 28 mai 2019

Mémé, Cannes et le cinéma


Mémé, Cannes et le cinéma

Il y avait longtemps que je n’avais pas évoqué ma mémé ; elle m’a fait savoir qu’elle n’était pas contente, qu’elle avait encore beaucoup de choses à dire et qu’elle comptait sur moi pour les dire. Non pas pour parler de politique, ce n’était pas sa priorité. Par contre tout ce qui concernait la couture, la mode, la parure  réveillait en elle la couturière émérite et mal payée qu’elle avait été et lui autorisait des jugements admiratifs. En ces temps de festival de Cannes, de montée des marches quotidiennes sous l’œil des caméras, je l’imagine scotchée au « poste », comme elle disait, et répétant à satiété : « Mon dieu, que de la toilette ! Que de la toilette ! Qu’ils sont bien mis ! C’est vraiment très-très beau ! Mais pour aller au travail, c’est difficilement mettable… »

Supercherie

En effet la caissière du supermarché, l’infirmière de l’hôpital, la chauffeuse de bus ne seraient pas très à l’aise en robe longue moulante, le dos dénudé, la poitrine aérée : la tenue officielle de toutes les actrices prétendant à la gloire du tapis rouge de Cannes. Toutes plus belles les unes que les autres, mais toutes différentes, charmantes, surnaturelles. Aux bras d’acteurs, certes plus sobrement vêtus, mais d’un chic absolu, d’une classe prodigieuse, au sourire ensorceleur, à la plastique irréprochable. Ma mémé le sentirait bien, tout cela est trop beau pour être vrai, trop artificiel pour être crédible tout cela sentirait un peu la supercherie, le rêve vendu au populo.

Le cinéma, ce serait donc ça, de l’artifice à l’état pur, très-très loin des vicissitudes du quotidien. Il faut dire que le quotidien nous offre si souvent la médiocrité la plus médiocre qu’il peut sembler utile et nécessaire d’aller chercher ailleurs de quoi rêver. Le cinéma : une image inversée du réel. De la beauté, de l’amour, des destins extraordinaires, des fantasmagories absolues, de la fiction sans limite, bien sûr dans des décors de rêve.

Troubles

Mais il arrive incidemment, plus souvent qu’on ne le pense, que ce monde artificiel produise des images, des histoires, des aventures qui nous troublent par leur vérité, leur sincérité, leur ancrage dans un réel qui est le nôtre (et nous nous y reconnaissons). Le festival de Cannes  m’en offre une démonstration sans faille.

La palme d’or revient au film coréen « Parasite » qui croise les destins de très riches et de très pauvres, ceux qui l’ont vu en relèvent le réalisme, nourri d’incidents dignes des journaux ou des réseaux sociaux. « Les Misérables » de Ladj Ly, qui a eu le prix de la mise en scène est de cette veine-là. Pourquoi les « Misérables »,  parce qu’on est à Montfermeil, que les Thénardier y ont vécu, que Cosette y a souffert, que Ladj Ly y est né de parents venant du Mali. Parce qu’on est dans le 9.3., qu’une bavure policière en 2008 a été la cause de graves débordements. C’est un film « vrai ». De même pour Mati Diop, pour « Atlantique », la franco-sénégalaise nous raconte l’histoire de ces jeunes africains qui prennent la mer pour fuir la misère, elle a obtenu un grand prix. Et c’est tant mieux, pour elle, pour le cinéma, pour son engagement dans le réel.

La douleur et la création

Cet ancrage n’est pas que social, il peut aussi concerner les souffrances d’un créateur et charger les images de la puissance d’un vécu douloureux. Dans ses films Almodovar nous parle souvent de lui. Dans le film « Douleur et Gloire », présenté à Cannes, plus que jamais, il parle de la création impossible, de l’enfance, de la mère. D’une douleur, à l’image de Baudelaire « sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille », qu’il faut impérativement maîtriser, dominer, y compris par les paradis les plus artificiels. Dans le rappel inopiné d’un souvenir d’enfance, il (re)découvre ce qu’il est, renoue avec le pouvoir créateur et peut enfin nous donner la clef du film qu’il est en train de tourner, « en direct live » pourrait-on dire, et qui nous touche par sa vérité.

Social, réel, vérité, vécu… Tu vois, Mémé, le cinéma, ce n’est pas que la toilette. Et c’est tant mieux.

Jean-Marie Philibert






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