Chiracôlatrie
Je trouve que ce terme que j’emprunte à mon camarade Aschieri décrit parfaitement le déferlement médiatique qui nous assaille depuis que nous avons appris le décès de Jacques Chirac. Le respect des défunts est le signe de notre humanité et il ne s’agit pas de le remettre en cause. Mais l’univers médiatique s’embarque dans une telle hagiographie de l’ex-président qu’il serait possible d’y suspecter, pas seulement une peine légitime, mais aussi quelques soucis politiques. Nous nous réserverons la possibilité de les évoquer.
Le vide et le trop plein
Mais commençons par le vide que laisse celui qui a animé la vie politique française pendant des décennies dans un ancrage à droite indéfectible, même si on pouvait avoir parfois l’impression que cette droite-là restait présentable. Et c’est sans doute ce vide qui appelle le trop plein au point de saturer de paysage médiatique.
Il a occupé toutes les allées du
pouvoir, des plus obscures aux plus prestigieuses et a duré pendant plus de
quarante ans, en rebondissant comme il le fallait, chaque fois que sa carrière
donnait le sentiment de s’essouffler, y compris en trahissant ses amis du
moment. Quoi qu’en disent tous ceux qui veulent faire croire qu’il n’appartient
pas exclusivement à cette famille de droite, il a gouverné la France pendant
des décennies au bénéfice des possédants de tous ordres et au détriment du
monde du travail. Il a mené une politique de classe : il est impossible de
lui attribuer la moindre initiative significative en mesure de soulager les
difficultés sociales du plus grand nombre.
L’ambition et le plus grand nombre
Et pourtant, nous dit-on, le plus
grand nombre garde une bonne image, plus de 70 % d’opinions favorables dit un
sondage post mortem. Cela, je pense, n’aurait pas dérangé, bien au contraire,
l’ambitieux forcené qu’il n’a cessé d’être
et qui l’avait conduit à ne jamais se couper de ce plus grand nombre qu’il savait séduire, faute de le satisfaire.
Le « toquemanettes »
comme on dit ici, il savait faire et ne rechignait jamais à la tâche pour
donner le sentiment d’une proximité qui pouvait avoir l’air vrai, mais qui
n’était que feinte. Elle servait le plus souvent à ce que l’essentiel, c’est-à-dire,
la prise et la conservation du pouvoir soient les plus efficaces, les plus
entières et les plus durables possible. Là il fut très bon. Au point que ce
pouvoir, peu contrôlé, a pu le conduire à se servir de ses fonctions pour
« quelques » turpitudes qui lui ont valu des démêlés judiciaires et
lui ont permis une vie dans l’opulence. Comme il fut le champion de la valse
des étiquettes pour faire croire que la droite qu’il incarnait pouvait être
autre chose que ce qu’elle est. Comme il sut se débarrasser sans ménagement de
tous ceux qui, dans son propre camp, pouvaient lui faire de l’ombre. Comme il
sut utiliser la politique étrangère pour brouiller un peu les pistes et
apparaître un peu moins réactionnaire qu’il ne l’était.
Les erreurs et l’humanité
Il sut même faire des erreurs
grossières, dissoudre une Assemblée Nationale à sa botte et s’imposer une cure
de cohabitation. Personne n’est parfait.
Vos erreurs font votre humanité.
Comme les difficultés de la vie, de sa fin de vie.
D’où ce sentiment bizarre de perte
d’un homme, fût-il un adversaire politique majeur, qui nous a accompagnés, qui
n’est pas un étranger, qui fut notre quotidien, qui ne nous est pas totalement
indifférent. Et donc la possibilité offerte au monde médiatique, au pouvoir en
place, de fabriquer, avec le bourrage de crâne qui va avec, une image iconique
d’un président aimant et aimé, d’un politique qui brouille les pistes de droite
et de gauche (comme l’autre), d’un homme sympathique qui a aimé la vie …
Même si, politiquement, (restons lucides !) il
nous a copieusement et régulièrement couillonnés.
La chiracôlatrie, ça peut toujours
servir… à poursuivre l’entreprise de couillonnage !
Jean-Marie Philibert.