le penseur pensé ou les
blessures de la connaissance
Passé
« décomposé »
Le propre de l’humeur, c’est de pouvoir vagabonder, de
prendre par rapport à l’actualité une distance quelque peu salutaire, dans des
temps qui sont plus que prégnants. Je ne dirai rien de cette prégnance-là. Je
veux parler d’un livre dont j’ai le sentiment qu’il aide un peu à
l’éclairer Il s’agit de « Passé
Composé », une autobiographie d’Anne Sinclair, ex-prêtresse de la téloche,
qui a animé le petit écran pendant de longues années avec des émissions qui
avaient une certaine tenue, qui tranchaient avec la nullité ambiante du milieu,
et qui fut aussi Madame Strauss Kahn.
Elle y raconte son
histoire depuis sa naissance jusqu’aux péripéties liées aux frasques de son ex
sur lesquelles elle dit sans cultiver le voyeurisme tout ce qu’il est utile de
savoir pour comprendre son comportement. J’ai eu envie de m’y plonger par
curiosité. Cette femme m’avait paru digne dans une situation qui ne l’était
pas.
Une histoire classique
Sa propre histoire est relativement classique: une très
gentille fille unique adorée de ses parents. Elle est d’origine juive. Son père
s’engage dans la France Libre. Il transforme son patronyme trop marqué de
Schwartz en Sinclair. Sa mère est la fille de riches marchands de tableaux de
New York. Ses grands-parents paternels ne survivront pas à la déportation. Son
père occupera de hautes fonctions dans l’industrie des cosmétiques, ce qui
permettra, à la famille, de vivre une vie aisée, ouverte, dans des milieux
bourgeois, à elle, de faire des études sans problème, d’avoir une éducation
culturelle riche, de suivre une actualité historique et politique qui la
captive ;Nous sommes dans les années 60, l’Algérie, le gaullisme… Elle
raconte la formation de sa passion, le journalisme.
Elle débute à Europe 1 et penche à gauche. Elle admire Pierre
Mendes-France et la social-démocratie qu’il représente. De la radio à la
télévision il n’y a qu’un pas, qu’elle franchit rapidement, en suivant entre
autres le parcours de François Mitterrand et sa prise de pouvoir en s’asseyant
sur les engagements du programme commun, ce qui ne la choque pas. Avec la
gauche au pouvoir, elle deviendra une journaliste incontournable, en
particulier grâce à l’émission 7 sur 7 qu’elle anime sur TF1, que le pouvoir
socialiste vient d’offrir à Bouygues. Elle semble même plus ouverte que ses
consœurs et confrères et obtient un succès mérité en recevant tous les
« grands » d’ici et d’ailleurs et en menant sans gêne, ni ostentation
une vie facile et sérieuse. Rocard prend la place de Mendes-France dans ses
admirations ; Et Strauss Kahn, rocardien, deviendra son mari. Il sera dans
des gouvernements socialiste, puis sera propulsé à la tête du FMI : c’est
dire qu’il ne faisait pas peur à tous les grands argentiers de la planète et
que la social-démocratie qu’il incarnait était à la lutte des classes ce que la
gauche caviar et à la révolution.
Sans
conscience
Ce qu’elle évoque ensuite des
aventures et mésaventures d’un époux qu’elle croyait fidèle est fait de
retenue, mais reste très explicite sur la duplicité et l’immoralité d’un homme
public qui n’avait pas l’option conscience. Elle le sortira quand même du
pétrin avant de divorcer.
Pourquoi ainsi tartiner sur un destin qui s’est limité à occuper
la petite lucarne avec un certain talent, puis a versé dans la rubrique faits
divers salaces ?
Les ratages
Sans doute parce qu’il est emblématique des ratages
politiques dans lesquels nous nous
enkystons, parce qu’il s’y pratique jusqu’à satiété l’entre-soi, entre média
sans scrupule, politiciens arrivistes et célébrités bling-bling qui se
prétendent le monde et qui amusent la
galerie. Ils croient qu’on les croit.
Sans doute et surtout parce que c’est la démonstration que le vrai monde, le
monde du travail, de ses affres, de ses souffrances, de ses organisations, le
monde du peuple, de ses quartiers difficiles, de ses écoles joyeuses, mais un
peu miteuses, restent à la porte de cette histoire qui ne concerne que les
têtes d’affiches qui prétendent légiférer en son nom.
Sans doute parce que les protagonistes de cette histoire ne
semblent à aucun moment conscients d’une telle absence qui semble couler de
source, comme si elle était congénitale du modèle social qu’ils incarnent et
pour laquelle le slogan fait office de progrès.
Sans doute parce que ce qu’Anne Sinclair appelle le
« Chapitre impossible », l’épisode Sofitel de NY et ses suites est le
comble de cette tricherie organisée où les puissants du jour croient pouvoir
tout se permettre. Sans doute aussi et enfin parce que cet impasse la conduit à
un dernier chapitre intitulé « Renaissance » où cette femme de
caractère semble renouer avec l’espoir, la lucidité et retrouver une humanité
qui est la nôtre.
Jean Marie Philibert
La poésie de René Char
René
Char : prenez le temps de le lire, de l’écouter, de le méditer. Né en
1907, il a traversé le siècle, ses péripéties et ses combats, en particulier,
quand il le fallait, les armes à la main. Dans Feuillets d’Hypnos il évoque son
action à la tête d’un groupe de résistants, ses doutes, son inextinguible
aspiration à vaincre la nuit.
La
poésie y a l’apparence de notes, simples, directes,
« Ces
notes n’empruntent rien à l’amour de soi, à la nouvelle, à la maxime ou au
roman. Un feu d’herbes sèches eut tout aussi bien pu être leur éditeur. La vue
du sang supplicié en a fait une fois perdre le fil, a réduit à néant leur
importance. Elles furent écrites dans la tension, la colère, la peur,
l’émulation, le dégoût, la ruse, le recueillement furtif, l’illusion de
l’avenir, l’amitié, l’amour….
Ces
notes marquent la résistance d’un humanisme conscient de ses devoirs, discret
sur ses vertus, désirant réserver l’inaccessible champ libre à la fantaisie de
ses soleils et décidé à payer le prix pour cela…. »
Et
d’énumérer apparemment sans ordre ses aphorismes :
« …Ne
t’attarde pas à l’ornière des résultats
…
Conduire le réel jusqu’à l’action comme une fleur glissée à la bouche acide des
petits enfants. Connaissance ineffable du diamant désespéré (la vie)
…Nous
n’appartenons à personne sinon au point d’or de cette lampe inconnue de nous
inaccessible à nous qui tient éveillé le
courage et le silence
…
Epouse et n’épouse pas ta maison
…L’acte
est vierge, même répété. »
Et la
dernière , la plus surprenante sans doute,
« …
Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la beauté. Toute la place
est pour la Beauté »
Proposé
par Jean Marie Philibert.
UNE GIFLE
ET QUELQUES LUMIERES
La baffe, la bouffe, la gifle, au choix
renvoient souvent chez les protagonistes ou les spectateurs à des réflexions, des répliques qui tiennent
le plus souvent du lieu commun. « ça fait du bien »dira celui qui
n’en pouvait plus de l’insolence d’un jeune imbécile et de son mépris pour les gens qui n’avaient
pas l’heur de lui plaire. Et il lui en balance une ! « Bien
fait », répéteront en chœur tous
ceux qui, méprisés aussi, mais un peu
péteux, assisteront à la scène. Variante « il l’a bien mérité ».
« Oh ! Le pauvre ! Je suis contre la
violence ! », argumenteront quelques âmes sensibles et pusillanimes,
qui n’ont pas encore compris qu’on ne vit pas chez les bisounours.
Quant à la victime de l’offense, du taquet, de la claque, (c’est fou, ce
que notre langue a comme synonymes pour gifle), il ne lui reste plus pour être
fidèle, à son arrogance qu’à affirmer haut et fort, la joue encore rosie de la
trace du coup : « Même pas mal ! ».
Vous avez bien compris que toute ressemblance avec un événement récent
tiendrait à un pur hasard : la gifle à/pour/ vers/ de/ contre Macron
(choisissez la préposition qui vous va bien).
Je ne veux pas non plus justifier le geste imbécile d’un allumé qui,
victimisant Macron, ne peut que lui servir.
Réflexion…
Je veux
m’interroger sur un acte suffisamment rare pour inciter à chercher ce qu’il
recèle et révèle. D’autant que toute la presse s’y met, que les média s’en
nourrissent, que les réseaux sociaux sont à la fête. Un grand, très grand journal
du soir, y va même d’un titre qui barre toute une page : « Une
gifle qui en dit long sur l’évolution de l’action politique ».
Mazette !
Quand la violence de l‘état s’est exprimée et s’exprime, sans retenue,
lors de manifestations populaires, et les coups n’ont cessé de pleuvoir sur
toutes sortes de citoyens de base depuis un certain temps, c’est presque
silence radio. Là tout s’émotionne et chacun y va de son commentaire savant.
Donc moizaussi. Mais je n’ai aucune garantie sur sa dimension
savante : vous jugerez.
Le doute absolu
Le climat politique est délétère : comment s’étonner qu’un de ceux
qui l’ont rendu tel en fasse les frais. Certes la vie politique est en
perpétuel mouvement, les repères bougent. Mettre en œuvre des stratégies qui,
en même temps qu’elles visent à tromper l’opinion, bouleversent les valeurs de
références construites par notre culture collective, en s’appuyant sur un monde
médiatique aux mains des puissances financières, est mortifère pour une
société. Macron est là à la manœuvre, mais les manœuvres ont commencé avant
lui. Pour que le doute absolu soit la pierre angulaire de tout l’édifice et
qu’il puisse justifier tous les comportements.
Comportements racistes, complotistes, fascistes, nombrilistes, égoïstes,
arrivistes, manœuvriers, sans la moindre vergogne. Le seul but est la
satisfaction immédiate d’un besoin de reconnaissance (et sans doute pas
seulement) que la dureté de la société, ses inégalités, ses misères cachées ou
apparentes rendent quasiment impossible
pour le plus grand nombre. D’où la difficulté d’y voir un peu clair…
politiquement parlant.
N’évoquons que pour mémoire la pandémie qui n’a qu’un peu plus obscurci
l’horizon
De l’obscur à la lumière
Dans ce contexte mettre de la lumière là où elle a disparu tient un peu
du travail d’Hercule, et pourtant, les esprits restent parfois étonnamment
clairs. C’est l’intérêt de la chose publique, politique de n’être jamais finie.
Observez l’attitude sur les vaccins, observez les luttes sociales, observez la
défense tous azimuts des libertés, observez les résistances syndicales,
observez l’attachement aux services publics, observez la défense de tous les
droits sociaux (retraite, chômage…), observez les jeunes qui après des années
scolaires plus que difficiles font face aux examens, observez les formes
multiples et diverses de solidarité, observez l’aspiration à l’unité pour
transformer la société, observez l’aspiration de tous ceux qui veulent de réels
progrès. Toutes ces petites lumières manquent surtout d’un grand éclairage central
qui en manifeste la cohérence, le bienfondé. Il reste à construire. A sa
modeste place le TC veut y contribuer : dans la presse, c’est comme au
grand théâtre, il n’y a pas de petits rôles. Assumons le nôtre et laissons aux
guignols les gifles et les coups de bâtons.
Jean-Marie Philibert.
Quelques
grands écrivains et la Commune
Sous le titre « La Commune des écrivains » Alice
de Charentenay et Jordi Brahamcha-Marin, proposent dans la collection
folio-classique, une anthologie de textes littéraires autour du thème
« Paris 1871 : vivre et écrire l’insurrection». Anthologie très
intéressante qui offre souvent une approche décalée et inhabituelle des
événements, je vous incite à vous y plonger. De plus, elle illustre la difficulté
à écrire l’histoire au moment où elle se fait.
Elle démontre que les plus grands écrivains ne sont pas nécessairement
les plus lucides et que le peuple quand il se soulève peut bousculer leur
conscience. Je vous propose une petite sélection.
D’Edmond de Goncourt,
dans son Journal Samedi 18 Mars
« L’insurrection triomphante semble prendre possession
de Paris, les gardes nationaux foisonnent, et partout des barricades s’élèvent,
couronnées de méchants gamins. Les voitures ne circulent plus. Les boutiques se
ferment. La curiosité me mène à l’Hôtel de Ville, où sur la place, au milieu de
rares groupes, des orateurs parlent de mettre à mort les traîtres. Au loin sur
les quais, dans un brouillard de poussière, des charges inoffensives de
municipaux, pendant que des gardes nationaux chargent leurs fusil, rue de
Rivoli, et que des voyous donnent l’assaut avec des cris, des huées, des
pierres, aux casernes derrière l’Hôtel de Ville. En revenant, partout des
bandes criant : »Vive la République ! »
Le 1° Avril,
il s’interroge et juge :
« … je m’étonne et ne puis comprendre que dans ce
moment d’effervescence, de bouillonnement de furie, il n’y ait pas un rien de
l’emportement des esprits qui ne se retourne irraisonnablement, follement
contre les Allemands. Je constate tristement que l’amour de la patrie est un
sentiment démodé, dans les révolutions actuelles, le peuple ne se bat plus pour
un mot, un drapeau, un principe… les générations contemporaines ne
s’insurrectionnent que pour la satisfaction d’intérêts matériels tous bruts et
que la ripaille et la gogaille ont seules aujourd’hui, la puissance de leur
faire donner héroïquement leur sang. »
A la même date, Jules
Vallès dans le Cri du Peuple du 22
Mars s’enthousisasme, cela ne vous étonnera pas :
« C’est tout ce monde de travailleurs ayant peur de la
ruine et du chômage qui constitue Paris – le grand Paris- Pourquoi ne se
donnerait-on pas la main, par-dessus nos misères d’homme et de citoyen, et pourquoi, en ce moment solennel,
n’essayerait-on pas d’arracher une bonne fois le pays où l’on est frère par
l’effort et le danger à cette incertitude éternelle qui permet aux aventuriers
de toujours réussir et oblige toujours les honnêtes gens à toujours trembler et
souffrir »…
Dans ses courriers, Georges
Sand, depuis Nohant, s’inquiète :
Le 24 Mars
« Quelle tristesse et quelle anxiété ! Si vous pouviez opposer une
ferme et froide résistance sans effusion de sang ! Ce parti d’exaltés,
s’il est sincère, est insensé et se précipite de gaieté de cœur dans un abîme.
La république y sombrera avec lui… »
Avec Alexandre Dumas fils, à qui elle écrit un mois plus tard, le jugement
devient sévère :
« Ce qui se passe à Paris ne me paraît pas du tout un
symptôme social et humanitaire… J’y vois…Le résultat d’un excès de civilisation
matérielle jetant son écume à la
surface, un jour où la chaudière manquait de surveillants. C’est un vilain
moment dans notre histoire, et les souffrances de tant de gens qui n’en peuvent
mais, rendent bien tristes. Ce sont les saturnales de la plèbe après celles de
l’Empire… »
Et fin mai, « La voilà vaincue, cette chimérique
insurrection… C’est un malheur pour ceux qui aiment l’égalité et qui ont cru
aux nobles instincts des masses, et j’étais de ceux-là »
Gustave Flaubert,
lui écrivant, tente de prendre de la hauteur, ce qui ne l’empêche pas de dire
un peu n’importe quoi, tout Flaubert, qu’il est :
« Est-ce la fin de la blague ? En aura-t-on fini
avec la métaphysique creuse et les idées
reçues ? Tout le mal vient de notre gigantesque ignorance. Ce qui devrait
être étudié est cru sans discussion. Au lieu de regarder, on affirme ! …Il
faut que la révolution française cesse d’être un dogme et qu’elle entre dans la
Science, comme le reste des choses… »
Et quelques jours plus tard :
« Quant à la Commune, qui est en train de râler, c’est
la dernière manifestation du Moyen Age. La dernière ? Espérons-le… Je hais
la démocratie (telle du moins qu’on l’entend en France), parce qu’elle s’appuie
sur la morale de l’évangile, qui est l’immoralité même, quoiqu’on en dise,
c’est-à-dire l’exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation
du droit, en un mot l’anti-sociabilité. »
Et il insiste avec la Science :
« Pour que la France se relève il faut qu’elle passe de
l’inspiration à la Science. Quelle abandonne toute métaphysique, qu’elle entre
dans la critique, c’est-à-dire dans l’examen des choses. Je suis persuadé que
nous semblerons à la postérité extrêmement bête … » (sans doute ?)
Quant à Victor Hugo,
il écrit depuis Bruxelles le 28 avril l’histoire de la Commune, ce qui lui
évite de se prononcer :
« …Qui a fait le 18 mars ?...C’est
l’Assemblée ; ou pour mieux dire la majorité…Enlever les canons de
Montmartre…Comment s’y est-on pris ?...Montmartre dort. On envoie la nuit
les soldats saisir les canons. Les canons pris, on s’aperçoit qu’il faut les
emmener. Pour cela il faut des chevaux. Combien ? Mille. Mille
chevaux ! Où les trouver ? On n’a pas songé à cela. Que faire ?
On les envoie chercher, le temps passe, le jour vient, Montmartre se
réveille ; le peuple accourt et veut ses canons ; il commençait à ne
plus y songer, mais puisqu’on les lui prend il les réclame ; les soldats
cèdent, les canons sont repris, une insurrection éclate, une révolution
commence ... »
Sur la Commune elle-même, il ne s’engage pas, alors que pour
l’amnistie des Communards déportés et condamnés, en bon républicain, il ne
ménagera pas sa peine et son action politique.
Dans cette révolution, Rimbaud
vient de Charleville, jeune poète, il évoque dans « Les mains de Jeanne-Marie », les femmes de la Commune
« …Ce sont les
ployeuses d’échines,
Des mains qui ne font
jamais mal,
Plus fatales que les
machines,
Plus fortes que tout
un cheval… »
Aragon réfléchira
à ce passage à Paris de Rimbaud et à ses conséquences :
« …Arthur Rimbaud était venu tout naturellement à Paris
s’engager dans l’armée de la Commune. Que serait-il arrivé de Rimbaud dans une
Commune triomphante ? Nous l’ignorons, mais nous savons ce qu’il en est
advenu, la Commune vaincue. Nous respectons le grand Rimbaud qui se tait, quand
il a éprouvé jusqu’au dégoût, jusqu’à l’ivresse du suicide la bassesse du monde
auquel il est condamné. »
Verlaine des
années plus tard évoquera les Communards dans « Les vaincus »
« La Vie est
triomphante et l’idéal est mort,
Et voilà, que criant
sa joie au vent qui passe,
Le cheval enivré du
vainqueur broie et mord
Nos frères, qui du
moins tombèrent avec grâce… »
EN I927, pour
l’anniversaire de la Commune, Vladimir
Maïakovski, dans une Russie révolutionnaire en construction s’appuie sur le
souvenir de l’événement historique pour le lier à la Révolution
d’octobre :
« Ils sont rares
Qui encore y songent à ces jours, ces combats, ces noms
Mais le cœur ouvrier garde le souvenir sacré du grand jour…
Les paroles du socialisme vivant jaillirent au-dessus de la
terre…
Eux surent tenir une poignée de jours
… nous autres tiendrons des siècles… »
Le réel a été plus fort que l’ambition révolutionnaire du
poète.
Mais la plaie ouverte, et l’utopie qu’elle porte, ne s’est
pas refermée, comme le dit Jean-Baptiste
Clément:
« J’aimerai
toujours le temps des cerises :
C’est de ce temps-là
que je garde au cœur
Une plaie ouverte,
Et dame Fortune, en
m’étant offerte,
Ne saurait jamais
calmer ma douleur.
J’aimerai toujours le
temps des cerises
Et le souvenir que je
garde au cœur. »
Jean-Marie Philibert
La poésie peut vous conduire
à Ille/Têt
Dans un souci constant d’enrichissement le comité de
rédaction a décidé d’ouvrir le TC à la poésie… dans un monde qui en manque
cruellement. Ce n’est pas le prof de lettres que je reste qui niera son
plaisir. Encore que l’aventure n’est sans doute pas aussi simple qu’il y
paraît. La poésie est un monde qui dit notre richesse, notre diversité, notre
profondeur dans les formes les plus convenues, comme les plus surprenantes et
les plus intimes.
Afin d’ancrer notre démarche dans le tissu poétique que
tissent ici les artisans de la poésie, nous avons dans cette première approche
sollicité André Rober qui vit à Ille/Tet, où il peint, écrit, édite et organise
depuis des années des initiatives autour de la poésie. Il y dirige au 13 rue de la Sainte Croix une galerie où
il expose ses œuvres, celles d’autres artistes, où il organise toutes sortes
d’activités … autour de la poésie.
De la Réunion .à Ille
Il nous a parlé de son parcours atypique. L’île de la
Réunion qui l‘a vu naître dans le prolétariat agricole lui a appris les
réalités sociales et celles du colonialisme ; elle a forgé un esprit
rebelle qui scolairement s’est limité aux 6° et 5° de transition comme on
disait alors. Pour l’extraire d’un milieu qu’il aurait contribué à agiter un
peu plus encore, il est envoyé en
métropole à l’école de l’EDF, puis il intègre l’entreprise nationale où
rapidement il participe aux activités de la CCAS, il est animateur de centre,
puis directeur, un directeur libertaire, qui s’ouvre aux activités culturelles et universitaires, elles
l’amènent à obtenir un DEA d’Arts plastiques
à la fac de Saint Denis. Pendant la période euphorique des radios
libres, il animera à Paris une radio libertaire qui le mettra en contact avec
des créateurs, peintres, écrivains dont les projets ne sont jamais de perpétuer
l’ordre dominant, mais de le secouer. Il poursuivra sa carrière en PACA, et
toujours avec les CCAS il s’ouvre à la poésie, à l’esthétique anarchiste, dont
la poésie visuelle, entre autres, lui
semble porteuse. Il publie une revue « Art et anarchie » pendant 5
ans.
Son activité d’éditeur l’amène à se consacrer à donner toute sa dignité à la langue créole dont le
colonisateur interdisait l’écriture pour l’enfermer dans une tradition orale
qui en réduisait la portée et la force subversive. André Rober va créer les
éditions K.A. (comme Kréole et Anarchie) et va publier nombre d’œuvres qui sont
aussi des œuvres de résistance. La dignité passe par l’écrit et par le livre.
Paraules et poésie
visuelle
Avec les éditions
Paraules il élargit son propos, à Ille
où il s’est installé. La littérature française, catalane, la poésie en
particulier, enrichissent son catalogue. Vous trouverez ses productions dans
les bonnes libraires, il en reste. Vous y lirez Cristina Giber, Muriel Valat,
Isabelle Pujol, Evelyne Maureso, Francesca Caruana… et d’autres.
André Rober a le souci de faire vivre ces textes et pour
cela, il crée l’Illa dels poétes, où il
fait se rencontrer auteurs et public autour de la parole poétique. Prochaine
édition en juillet.
Mais dans son esprit, la poésie peut aussi révéler d’autres
plaisirs que ceux du verbe, en particulier elle est en prise avec l’esthétique,
le dessin, les formes, les couleurs,
d’où un autre domaine de son activité
créatrice et éditrice : la poésie visuelle qui est l’objet d’une
biennale internationale à Ille, toujours, dont la cinquième édition se
tiendra fin juin début juillet et dont
nous reparlerons.
Le cadeau de la
poésie
Vous ne repartez jamais de chez un éditeur sans un cadeau
surprise. Je veux vous en faire profiter. Il s’agit du dernier recueil
« Parler plus loin » de Muriel
Valat.B qui évoque les rapports de femmes de tous âges à une langue étrangère
Ecoutons :
« D’une mer
l’autre rive
elle guette un
signe »
elle enquête
elle interroge
la même question
lancinante
cette langue se dérobe
une autre parole
passe sous le
silence »
POLICE ET
JUSTICES
Paraît-il disent quelques observateurs que Macron ne serait pas bon dans le
régalien, les fonctions essentielles de l’état, qu’il délaisserait un peu au
profit de tout ce qui renforce sa dimension jupitérienne, traduisez le
bling-bling et le médiatique… Si ce n’était que dans le régalien qu’il
n’est pas bon. Rappelez-vous la pandémie il a été mauvais partout, des masques
aux vaccins, il a été nul et bien
laborieux. Au moment où il ne rêve qu’à un deuxième mandat, où il prend
conscience que Jupiter a des assises bien fragiles, il nous la joue modeste et
efficace, il n’insulte plus, ne méprise plus. Il manœuvre en faisant semblant
de prendre de la hauteur et en envoyant au turbin, Castex et sa troupe.
La police
dans tous ses états
Il envoie la police et son ministre au charbon. L’affaire
Benalla avait apporté la preuve de la légèreté (euphémisme) de l’Elysée en la
matière. Quelques ministres de l’intérieur plus tard, la question policière ne
s’est pas arrangée, les forces de l’ordre s’interrogent, elles servent de
cibles, se sentent malmenées, en rajoutent parfois dans le répressif, des
syndicats utilisent le corporatisme policier pour des manœuvres qui donnent
parfois le sentiment de l’outrepasser. Marine Le Pen jubile. L’état-major
policier en rajoute. Les bavures se multiplient. On mélange tout, les
manifestants et les casseurs. On n’est pas mécontent en haut lieu que
manifester tienne de plus en plus en plus du sport de combat. Peut-être même
que, s’il le faut, on joue un tantinet la carte de la provocation. Vous
croyez ? Oui !
Quand il y a des
victimes policières, tout un staff ministériel se déplace, normal. Mais on ne
change pas la méthode dont tout indique qu’elle échoue. Le ministre préfère
manifester devant le Parlement avec ses troupes pour ne pas laisser le terrain
à l’extrême droite. Et veut faire croire que si les forces de l’ordre ont tant
de mal… c’est la faute à la justice, et donc par ricochet, à la loi (laxiste)
qu’elle doit appliquer et aux élus qui la font. On promet donc de faire à
nouveau une loi plus répressive encore. Et les juges continuent de juger en
appliquant la loi. Ainsi vont les institutions policières et judiciaires sur un
terrain en effervescence.
Les
justices
Il se trouve dans notre langue que c’est un même mot, la
justice, qui désigne l’institution qui
la met en œuvre et les valeurs qui la fondent, le droit, la loi. Mais il se
trouve que cette valeur, au-delà de sa dimension légale, est en prise directe
avec le monde et avec l’aspiration de
ceux qui l’habitent à y vivre en paix, dans un respect mutuel de leur personne,
avec une protection qui leur garantisse un minimum de bien être, avec un salaire
décent, libres de leur pensées, comme de leurs mouvements, sans suzerain et
sans vassal. Cela a un nom : la justice sociale.
Bien souvent cette justice sociale semble vivre sa vie,
cahin-caha, bien loin de la justice institutionnelle qui semble s’en
désintéresser, et sans rapport direct avec l’institution policière qui n’a
qu’un souci, que ça regimbe le moins possible dans le tissu social. J’ai du mal
à comprendre pourquoi nos législateurs n’ont jamais vraiment pensé que justice
sociale et justice tout court, pouvaient, devaient, faire ensemble un long
chemin pour remettre sur de bons rails une société où s’enkystent des
inégalités insupportables, qui semble ne pouvoir vivre qu’en excluant, qu’en
ghettoïsant, qui a besoin de la souffrance de beaucoup pour le plus grand bien
être de quelques-uns.
Dans ma grande naïveté je pense que, si on faisait se
correspondre ces deux justices-là, les relations entre police, justice, le
peuple en seraient grandement facilitées, qu’on n’aurait plus besoin des Gérard
Darmanin jouant les pères fouettard, des Dupond-Moretti jouant les grands
juristes et les grandes gueules, de Castex jouant les grands sages et les
grands-pères et de Macron jouant les grands innocents, pour faire de nous les
acteurs responsables d’une monde en marche vers sa transformation progressiste.
Je sais ! Je sais ! J’utopise un peu. Mais je ne me referai pas.
Jean-Marie Philibert.