Passé
« décomposé »
Le propre de l’humeur, c’est de pouvoir vagabonder, de
prendre par rapport à l’actualité une distance quelque peu salutaire, dans des
temps qui sont plus que prégnants. Je ne dirai rien de cette prégnance-là. Je
veux parler d’un livre dont j’ai le sentiment qu’il aide un peu à
l’éclairer Il s’agit de « Passé
Composé », une autobiographie d’Anne Sinclair, ex-prêtresse de la téloche,
qui a animé le petit écran pendant de longues années avec des émissions qui
avaient une certaine tenue, qui tranchaient avec la nullité ambiante du milieu,
et qui fut aussi Madame Strauss Kahn.
Elle y raconte son
histoire depuis sa naissance jusqu’aux péripéties liées aux frasques de son ex
sur lesquelles elle dit sans cultiver le voyeurisme tout ce qu’il est utile de
savoir pour comprendre son comportement. J’ai eu envie de m’y plonger par
curiosité. Cette femme m’avait paru digne dans une situation qui ne l’était
pas.
Une histoire classique
Sa propre histoire est relativement classique: une très
gentille fille unique adorée de ses parents. Elle est d’origine juive. Son père
s’engage dans la France Libre. Il transforme son patronyme trop marqué de
Schwartz en Sinclair. Sa mère est la fille de riches marchands de tableaux de
New York. Ses grands-parents paternels ne survivront pas à la déportation. Son
père occupera de hautes fonctions dans l’industrie des cosmétiques, ce qui
permettra, à la famille, de vivre une vie aisée, ouverte, dans des milieux
bourgeois, à elle, de faire des études sans problème, d’avoir une éducation
culturelle riche, de suivre une actualité historique et politique qui la
captive ;Nous sommes dans les années 60, l’Algérie, le gaullisme… Elle
raconte la formation de sa passion, le journalisme.
Elle débute à Europe 1 et penche à gauche. Elle admire Pierre
Mendes-France et la social-démocratie qu’il représente. De la radio à la
télévision il n’y a qu’un pas, qu’elle franchit rapidement, en suivant entre
autres le parcours de François Mitterrand et sa prise de pouvoir en s’asseyant
sur les engagements du programme commun, ce qui ne la choque pas. Avec la
gauche au pouvoir, elle deviendra une journaliste incontournable, en
particulier grâce à l’émission 7 sur 7 qu’elle anime sur TF1, que le pouvoir
socialiste vient d’offrir à Bouygues. Elle semble même plus ouverte que ses
consœurs et confrères et obtient un succès mérité en recevant tous les
« grands » d’ici et d’ailleurs et en menant sans gêne, ni ostentation
une vie facile et sérieuse. Rocard prend la place de Mendes-France dans ses
admirations ; Et Strauss Kahn, rocardien, deviendra son mari. Il sera dans
des gouvernements socialiste, puis sera propulsé à la tête du FMI : c’est
dire qu’il ne faisait pas peur à tous les grands argentiers de la planète et
que la social-démocratie qu’il incarnait était à la lutte des classes ce que la
gauche caviar et à la révolution.
Sans
conscience
Ce qu’elle évoque ensuite des
aventures et mésaventures d’un époux qu’elle croyait fidèle est fait de
retenue, mais reste très explicite sur la duplicité et l’immoralité d’un homme
public qui n’avait pas l’option conscience. Elle le sortira quand même du
pétrin avant de divorcer.
Pourquoi ainsi tartiner sur un destin qui s’est limité à occuper
la petite lucarne avec un certain talent, puis a versé dans la rubrique faits
divers salaces ?
Les ratages
Sans doute parce qu’il est emblématique des ratages
politiques dans lesquels nous nous
enkystons, parce qu’il s’y pratique jusqu’à satiété l’entre-soi, entre média
sans scrupule, politiciens arrivistes et célébrités bling-bling qui se
prétendent le monde et qui amusent la
galerie. Ils croient qu’on les croit.
Sans doute et surtout parce que c’est la démonstration que le vrai monde, le
monde du travail, de ses affres, de ses souffrances, de ses organisations, le
monde du peuple, de ses quartiers difficiles, de ses écoles joyeuses, mais un
peu miteuses, restent à la porte de cette histoire qui ne concerne que les
têtes d’affiches qui prétendent légiférer en son nom.
Sans doute parce que les protagonistes de cette histoire ne
semblent à aucun moment conscients d’une telle absence qui semble couler de
source, comme si elle était congénitale du modèle social qu’ils incarnent et
pour laquelle le slogan fait office de progrès.
Sans doute parce que ce qu’Anne Sinclair appelle le
« Chapitre impossible », l’épisode Sofitel de NY et ses suites est le
comble de cette tricherie organisée où les puissants du jour croient pouvoir
tout se permettre. Sans doute aussi et enfin parce que cet impasse la conduit à
un dernier chapitre intitulé « Renaissance » où cette femme de
caractère semble renouer avec l’espoir, la lucidité et retrouver une humanité
qui est la nôtre.
Jean Marie Philibert
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