les billets d'humeur de Jean Marie Philibert dans le Travailleur Catalan

Jean Marie PHILIBERT ( c'est moi ) écrit toutes les semaines un billet d'humeur dans le TRAVAILLEUR CATALAN, hebdomadaire de la fédération catalane du PCF.
Je ne peux que vous conseiller de vous abonner à ce journal qui est aujourd'hui le seul organe de presse de gauche du département des Pyrénées Orientales.
J'ai rassemblé dans ce blog quelques uns de ces billets d'humeur en rappelant brièvement les événements qu'ils évoquent

lundi 7 juin 2021

Quelques grands écrivains et la Commune

 

Quelques grands écrivains et la Commune

Sous le titre « La Commune des écrivains » Alice de Charentenay et Jordi Brahamcha-Marin, proposent dans la collection folio-classique, une anthologie de textes littéraires autour du thème « Paris 1871 : vivre et écrire l’insurrection». Anthologie très intéressante qui offre souvent une approche décalée et inhabituelle des événements, je vous incite à vous y plonger. De plus, elle illustre la difficulté à écrire l’histoire au moment où elle se fait.  Elle démontre que les plus grands écrivains ne sont pas nécessairement les plus lucides et que le peuple quand il se soulève peut bousculer leur conscience. Je vous propose une petite sélection.

D’Edmond de Goncourt, dans son Journal  Samedi 18 Mars

« L’insurrection triomphante semble prendre possession de Paris, les gardes nationaux foisonnent, et partout des barricades s’élèvent, couronnées de méchants gamins. Les voitures ne circulent plus. Les boutiques se ferment. La curiosité me mène à l’Hôtel de Ville, où sur la place, au milieu de rares groupes, des orateurs parlent de mettre à mort les traîtres. Au loin sur les quais, dans un brouillard de poussière, des charges inoffensives de municipaux, pendant que des gardes nationaux chargent leurs fusil, rue de Rivoli, et que des voyous donnent l’assaut avec des cris, des huées, des pierres, aux casernes derrière l’Hôtel de Ville. En revenant, partout des bandes criant : »Vive la République ! »

Le 1° Avril, il s’interroge et juge :

« … je m’étonne et ne puis comprendre que dans ce moment d’effervescence, de bouillonnement de furie, il n’y ait pas un rien de l’emportement des esprits qui ne se retourne irraisonnablement, follement contre les Allemands. Je constate tristement que l’amour de la patrie est un sentiment démodé, dans les révolutions actuelles, le peuple ne se bat plus pour un mot, un drapeau, un principe… les générations contemporaines ne s’insurrectionnent que pour la satisfaction d’intérêts matériels tous bruts et que la ripaille et la gogaille ont seules aujourd’hui, la puissance de leur faire donner héroïquement leur sang. »

A la même date, Jules Vallès dans le Cri du Peuple du 22 Mars s’enthousisasme, cela ne vous étonnera pas :

« C’est tout ce monde de travailleurs ayant peur de la ruine et du chômage qui constitue Paris – le grand Paris- Pourquoi ne se donnerait-on pas la main, par-dessus nos misères d’homme  et de citoyen, et pourquoi, en ce moment solennel, n’essayerait-on pas d’arracher une bonne fois le pays où l’on est frère par l’effort et le danger à cette incertitude éternelle qui permet aux aventuriers de toujours réussir et oblige toujours les honnêtes gens à toujours trembler et souffrir »…

Dans ses courriers, Georges Sand, depuis Nohant, s’inquiète :

Le 24 Mars « Quelle tristesse et quelle anxiété ! Si vous pouviez opposer une ferme et froide résistance sans effusion de sang ! Ce parti d’exaltés, s’il est sincère, est insensé et se précipite de gaieté de cœur dans un abîme. La république y sombrera avec lui… »

Avec Alexandre Dumas fils, à qui elle écrit un mois plus tard, le jugement devient sévère :

« Ce qui se passe à Paris ne me paraît pas du tout un symptôme social et humanitaire… J’y vois…Le résultat d’un excès de civilisation matérielle jetant son écume  à la surface, un jour où la chaudière manquait de surveillants. C’est un vilain moment dans notre histoire, et les souffrances de tant de gens qui n’en peuvent mais, rendent bien tristes. Ce sont les saturnales de la plèbe après celles de l’Empire… »

Et fin mai,  « La voilà vaincue, cette chimérique insurrection… C’est un malheur pour ceux qui aiment l’égalité et qui ont cru aux nobles instincts des masses, et j’étais de ceux-là »

Gustave Flaubert, lui écrivant, tente de prendre de la hauteur, ce qui ne l’empêche pas de dire un peu n’importe quoi, tout Flaubert, qu’il est :

« Est-ce la fin de la blague ? En aura-t-on fini avec la métaphysique creuse  et les idées reçues ? Tout le mal vient de notre gigantesque ignorance. Ce qui devrait être étudié est cru sans discussion. Au lieu de regarder, on affirme ! …Il faut que la révolution française cesse d’être un dogme et qu’elle entre dans la Science, comme le reste des choses… » 

Et quelques jours plus tard :

« Quant à la Commune, qui est en train de râler, c’est la dernière manifestation du Moyen Age. La dernière ? Espérons-le… Je hais la démocratie (telle du moins qu’on l’entend en France), parce qu’elle s’appuie sur la morale de l’évangile, qui est l’immoralité même, quoiqu’on en dise, c’est-à-dire l’exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation du droit, en un mot l’anti-sociabilité. »

Et il insiste avec la Science :

« Pour que la France se relève il faut qu’elle passe de l’inspiration à la Science. Quelle abandonne toute métaphysique, qu’elle entre dans la critique, c’est-à-dire dans l’examen des choses. Je suis persuadé que nous semblerons à la postérité extrêmement bête … » (sans doute ?)

Quant à Victor Hugo, il écrit depuis Bruxelles le 28 avril l’histoire de la Commune, ce qui lui évite de se prononcer :

« …Qui a fait le 18 mars ?...C’est l’Assemblée ; ou pour mieux dire la majorité…Enlever les canons de Montmartre…Comment s’y est-on pris ?...Montmartre dort. On envoie la nuit les soldats saisir les canons. Les canons pris, on s’aperçoit qu’il faut les emmener. Pour cela il faut des chevaux. Combien ? Mille. Mille chevaux ! Où les trouver ? On n’a pas songé à cela. Que faire ? On les envoie chercher, le temps passe, le jour vient, Montmartre se réveille ; le peuple accourt et veut ses canons ; il commençait à ne plus y songer, mais puisqu’on les lui prend il les réclame ; les soldats cèdent, les canons sont repris, une insurrection éclate, une révolution commence ... »

Sur la Commune elle-même, il ne s’engage pas, alors que pour l’amnistie des Communards déportés et condamnés, en bon républicain, il ne ménagera pas sa peine et son action politique.

Dans cette révolution, Rimbaud vient de Charleville, jeune poète, il évoque  dans « Les mains de Jeanne-Marie », les femmes de la Commune

« …Ce sont les ployeuses d’échines,

Des mains qui ne font jamais mal,

Plus fatales que les machines,

Plus fortes que tout un cheval… »

Aragon réfléchira à ce passage à Paris de Rimbaud et à ses conséquences :

« …Arthur Rimbaud était venu tout naturellement à Paris s’engager dans l’armée de la Commune. Que serait-il arrivé de Rimbaud dans une Commune triomphante ? Nous l’ignorons, mais nous savons ce qu’il en est advenu, la Commune vaincue. Nous respectons le grand Rimbaud qui se tait, quand il a éprouvé jusqu’au dégoût, jusqu’à l’ivresse du suicide la bassesse du monde auquel il est condamné. »

Verlaine des années plus tard évoquera les Communards dans « Les vaincus »

« La Vie est triomphante et l’idéal est mort,

Et voilà, que criant sa joie au vent qui passe,

Le cheval enivré du vainqueur broie et mord

Nos frères, qui du moins tombèrent avec grâce… »

EN I927, pour l’anniversaire de la Commune, Vladimir Maïakovski, dans une Russie révolutionnaire en construction s’appuie sur le souvenir de l’événement historique pour le lier à la Révolution d’octobre :

« Ils sont rares

Qui encore y songent à ces jours, ces combats, ces noms

Mais le cœur ouvrier garde le souvenir sacré du grand jour…

Les paroles du socialisme vivant jaillirent au-dessus de la terre…

Eux surent tenir une poignée de jours

… nous autres tiendrons des siècles… »

Le réel a été plus fort que l’ambition révolutionnaire du poète.

Mais la plaie ouverte, et l’utopie qu’elle porte, ne s’est pas refermée, comme le dit Jean-Baptiste Clément:

« J’aimerai toujours le temps des cerises :

C’est de ce temps-là que je garde au cœur

Une plaie ouverte,

Et dame Fortune, en m’étant offerte,

Ne saurait jamais calmer ma douleur.

J’aimerai toujours le temps des cerises

Et le souvenir que je garde au  cœur. »

Jean-Marie Philibert

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