Quelques
grands écrivains et la Commune
Sous le titre « La Commune des écrivains » Alice
de Charentenay et Jordi Brahamcha-Marin, proposent dans la collection
folio-classique, une anthologie de textes littéraires autour du thème
« Paris 1871 : vivre et écrire l’insurrection». Anthologie très
intéressante qui offre souvent une approche décalée et inhabituelle des
événements, je vous incite à vous y plonger. De plus, elle illustre la difficulté
à écrire l’histoire au moment où elle se fait.
Elle démontre que les plus grands écrivains ne sont pas nécessairement
les plus lucides et que le peuple quand il se soulève peut bousculer leur
conscience. Je vous propose une petite sélection.
D’Edmond de Goncourt,
dans son Journal Samedi 18 Mars
« L’insurrection triomphante semble prendre possession
de Paris, les gardes nationaux foisonnent, et partout des barricades s’élèvent,
couronnées de méchants gamins. Les voitures ne circulent plus. Les boutiques se
ferment. La curiosité me mène à l’Hôtel de Ville, où sur la place, au milieu de
rares groupes, des orateurs parlent de mettre à mort les traîtres. Au loin sur
les quais, dans un brouillard de poussière, des charges inoffensives de
municipaux, pendant que des gardes nationaux chargent leurs fusil, rue de
Rivoli, et que des voyous donnent l’assaut avec des cris, des huées, des
pierres, aux casernes derrière l’Hôtel de Ville. En revenant, partout des
bandes criant : »Vive la République ! »
Le 1° Avril,
il s’interroge et juge :
« … je m’étonne et ne puis comprendre que dans ce
moment d’effervescence, de bouillonnement de furie, il n’y ait pas un rien de
l’emportement des esprits qui ne se retourne irraisonnablement, follement
contre les Allemands. Je constate tristement que l’amour de la patrie est un
sentiment démodé, dans les révolutions actuelles, le peuple ne se bat plus pour
un mot, un drapeau, un principe… les générations contemporaines ne
s’insurrectionnent que pour la satisfaction d’intérêts matériels tous bruts et
que la ripaille et la gogaille ont seules aujourd’hui, la puissance de leur
faire donner héroïquement leur sang. »
A la même date, Jules
Vallès dans le Cri du Peuple du 22
Mars s’enthousisasme, cela ne vous étonnera pas :
« C’est tout ce monde de travailleurs ayant peur de la
ruine et du chômage qui constitue Paris – le grand Paris- Pourquoi ne se
donnerait-on pas la main, par-dessus nos misères d’homme et de citoyen, et pourquoi, en ce moment solennel,
n’essayerait-on pas d’arracher une bonne fois le pays où l’on est frère par
l’effort et le danger à cette incertitude éternelle qui permet aux aventuriers
de toujours réussir et oblige toujours les honnêtes gens à toujours trembler et
souffrir »…
Dans ses courriers, Georges
Sand, depuis Nohant, s’inquiète :
Le 24 Mars
« Quelle tristesse et quelle anxiété ! Si vous pouviez opposer une
ferme et froide résistance sans effusion de sang ! Ce parti d’exaltés,
s’il est sincère, est insensé et se précipite de gaieté de cœur dans un abîme.
La république y sombrera avec lui… »
Avec Alexandre Dumas fils, à qui elle écrit un mois plus tard, le jugement
devient sévère :
« Ce qui se passe à Paris ne me paraît pas du tout un
symptôme social et humanitaire… J’y vois…Le résultat d’un excès de civilisation
matérielle jetant son écume à la
surface, un jour où la chaudière manquait de surveillants. C’est un vilain
moment dans notre histoire, et les souffrances de tant de gens qui n’en peuvent
mais, rendent bien tristes. Ce sont les saturnales de la plèbe après celles de
l’Empire… »
Et fin mai, « La voilà vaincue, cette chimérique
insurrection… C’est un malheur pour ceux qui aiment l’égalité et qui ont cru
aux nobles instincts des masses, et j’étais de ceux-là »
Gustave Flaubert,
lui écrivant, tente de prendre de la hauteur, ce qui ne l’empêche pas de dire
un peu n’importe quoi, tout Flaubert, qu’il est :
« Est-ce la fin de la blague ? En aura-t-on fini
avec la métaphysique creuse et les idées
reçues ? Tout le mal vient de notre gigantesque ignorance. Ce qui devrait
être étudié est cru sans discussion. Au lieu de regarder, on affirme ! …Il
faut que la révolution française cesse d’être un dogme et qu’elle entre dans la
Science, comme le reste des choses… »
Et quelques jours plus tard :
« Quant à la Commune, qui est en train de râler, c’est
la dernière manifestation du Moyen Age. La dernière ? Espérons-le… Je hais
la démocratie (telle du moins qu’on l’entend en France), parce qu’elle s’appuie
sur la morale de l’évangile, qui est l’immoralité même, quoiqu’on en dise,
c’est-à-dire l’exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation
du droit, en un mot l’anti-sociabilité. »
Et il insiste avec la Science :
« Pour que la France se relève il faut qu’elle passe de
l’inspiration à la Science. Quelle abandonne toute métaphysique, qu’elle entre
dans la critique, c’est-à-dire dans l’examen des choses. Je suis persuadé que
nous semblerons à la postérité extrêmement bête … » (sans doute ?)
Quant à Victor Hugo,
il écrit depuis Bruxelles le 28 avril l’histoire de la Commune, ce qui lui
évite de se prononcer :
« …Qui a fait le 18 mars ?...C’est
l’Assemblée ; ou pour mieux dire la majorité…Enlever les canons de
Montmartre…Comment s’y est-on pris ?...Montmartre dort. On envoie la nuit
les soldats saisir les canons. Les canons pris, on s’aperçoit qu’il faut les
emmener. Pour cela il faut des chevaux. Combien ? Mille. Mille
chevaux ! Où les trouver ? On n’a pas songé à cela. Que faire ?
On les envoie chercher, le temps passe, le jour vient, Montmartre se
réveille ; le peuple accourt et veut ses canons ; il commençait à ne
plus y songer, mais puisqu’on les lui prend il les réclame ; les soldats
cèdent, les canons sont repris, une insurrection éclate, une révolution
commence ... »
Sur la Commune elle-même, il ne s’engage pas, alors que pour
l’amnistie des Communards déportés et condamnés, en bon républicain, il ne
ménagera pas sa peine et son action politique.
Dans cette révolution, Rimbaud
vient de Charleville, jeune poète, il évoque dans « Les mains de Jeanne-Marie », les femmes de la Commune
« …Ce sont les
ployeuses d’échines,
Des mains qui ne font
jamais mal,
Plus fatales que les
machines,
Plus fortes que tout
un cheval… »
Aragon réfléchira
à ce passage à Paris de Rimbaud et à ses conséquences :
« …Arthur Rimbaud était venu tout naturellement à Paris
s’engager dans l’armée de la Commune. Que serait-il arrivé de Rimbaud dans une
Commune triomphante ? Nous l’ignorons, mais nous savons ce qu’il en est
advenu, la Commune vaincue. Nous respectons le grand Rimbaud qui se tait, quand
il a éprouvé jusqu’au dégoût, jusqu’à l’ivresse du suicide la bassesse du monde
auquel il est condamné. »
Verlaine des
années plus tard évoquera les Communards dans « Les vaincus »
« La Vie est
triomphante et l’idéal est mort,
Et voilà, que criant
sa joie au vent qui passe,
Le cheval enivré du
vainqueur broie et mord
Nos frères, qui du
moins tombèrent avec grâce… »
EN I927, pour
l’anniversaire de la Commune, Vladimir
Maïakovski, dans une Russie révolutionnaire en construction s’appuie sur le
souvenir de l’événement historique pour le lier à la Révolution
d’octobre :
« Ils sont rares
Qui encore y songent à ces jours, ces combats, ces noms
Mais le cœur ouvrier garde le souvenir sacré du grand jour…
Les paroles du socialisme vivant jaillirent au-dessus de la
terre…
Eux surent tenir une poignée de jours
… nous autres tiendrons des siècles… »
Le réel a été plus fort que l’ambition révolutionnaire du
poète.
Mais la plaie ouverte, et l’utopie qu’elle porte, ne s’est
pas refermée, comme le dit Jean-Baptiste
Clément:
« J’aimerai
toujours le temps des cerises :
C’est de ce temps-là
que je garde au cœur
Une plaie ouverte,
Et dame Fortune, en
m’étant offerte,
Ne saurait jamais
calmer ma douleur.
J’aimerai toujours le
temps des cerises
Et le souvenir que je
garde au cœur. »
Jean-Marie Philibert
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