La mémoire
se doit d’être politique
Il y a un an Samuel
Paty professeur d’histoire était, à la sortie de son collège, tué pour avoir
fait pour ses élèves un cours sur la liberté d’expression. L’événement dont on
commémore le terrible souvenir est dans toutes les mémoires à cause de l’effet
de sidération dont il fut porteur. Effet de sidération lié à la façon dont il a
été tué, aux circonstances qui ont conduit à ce crime, à ceux qui y ont été
associés, parents d’élèves, élèves, à la façon dont tout cela a été préparé, à
la façon dont l’institution éducation nationale a peu réagi avant et mal réagi
après. Sidération aussi quant aux fondements d’islamisme radical et de
terrorisme sanguinaire dont cet événement est nourri.
Sidération sur ce que de tels faits disent de la folie des
hommes, de leur inhumanité.
Hommage à
Samuel Paty
Mais la sidération ne doit pas empêcher la compassion, le
recueillement, la solidarité avec la victime, sa famille, sa mémoire. L’hommage
à Samuel Paty doit être celui de toute une nation. Il doit l’être au-delà des
formes officielles qu’il peut prendre, il doit l’être dans les esprits, dans
les consciences. Il est aussi le nôtre.
Il touche au plus profond de notre vivre ensemble :
quand celui qui remplit sa mission d’éducateur, de professeur, celui qui
cherche à transmettre les fondements de ce vivre ensemble est considéré par des
membres de notre société comme un ennemi à abattre, comme une nouvelle victime
expiatoire à sacrifier à un surnaturel barbare qui semble vouloir se nourrir du
sang de ceux qui veulent préserver la liberté de penser et de vivre. Samuel
Patty voulait transmettre ces valeurs sans lesquelles il n’y a pas d’humanité.
La fracture
Je crains que, même un an après, nous n’ayons pas exactement
pris la mesure des choses, que les mots proférés le soient surtout pour ne pas
voir l’énorme fracture sociale sur laquelle nous ne nous maintenons que dans un
équilibre très précaire, sans y apporter les remèdes qui s’imposent.
Il est évident de dire que la question n’est pas que
scolaire, éducative. La société est dans une crise profonde dont le monde du
travail, du chômage, des villes, mais aussi des campagnes, des droits sociaux
régulièrement attaqués, des relations sociales malades donne quotidiennement
les signes de plus en plus tangibles. Ils sont régulièrement minimisés et
abordés par des emplâtres de circonstances qui ne règlent rien. Si ce n’est à
attendre les prochaines échéances électorales. Des signes : la dérive
droitière, et au-delà, de l’opinion, son désintérêt de la chose politique, son
repliement égoïste, le racisme rampant, ou affiché, la peur de l’avenir. On va
donc dire et répéter, ici au TC, que des changements politiques profonds s’imposent.
Mais les réponses
doivent toucher, et profondément, l’institution scolaire qui ne peut pas
s’en tirer avec de la commémoration, aussi sincère soit-elle. Le professeur que je fus est apte à en
imaginer.
Pas de
dieu, mais des maîtres
D’abord arrêtons de jouer avec la laïcité, y compris au plus
haut niveau de l’état. Mettons les religions, toutes, hors de l’école, sans
aucune tolérance, d’aucune sorte. Il n’y a pas de dieu à l’école, mais il y a
des maîtres, comme on disait avant, et qui sont des artisans résolus du ciment
social, si on leur en donne la possibilité. Blanquer et Macron font
l’inverse : ils cassent un service public que beaucoup nous envient. Ils
ne font rien pour redonner forme et vie à une vraie mixité sociale. Ils
financent des écoles privées qui, quoi qu’elles disent, favorisent la
ségrégation… Un grand service public, laïque, démocratique : ce n’est pas
sorcier, ce n’est pas un vœu pieux, oh que non ! C’est une revendication
politique et une bataille idéologique pour s’attaquer à la fracture sociale.
Pour briser une dérive mortifère qui se sert de tous les faux semblants, média,
réseaux sociaux, gourous en tous genres, hommes providentiels sortis du
chapeau. Les réactionnaires, en tous genres, et les forces économiques qui les
fabriquent sans fin nous enferment dans un fatum qui nous étouffe pour que nous
ne puissions pas imaginer que la vie puisse être autre chose que la vallée de
larmes qu’elle reste pour le plus grand nombre.
La meilleure façon d’honorer la mémoire de Samuel Paty est de
promouvoir les valeurs progressistes et démocratiques qui furent les siennes
Jean-Marie Philibert.